Littérature des 5 continents : AsieIrak

Papa Sartre

Ali Bader

(Bābā Sartr, 2001)
Traduction : Mahmoud, May A. Langue d’origine : Arabe
⭐⭐⭐

Ce que raconte ce roman :

Notre narrateur, un écrivain en cherche du travail, reçoit une commande un peu particulière : Rédiger une biographie du philosophe existentialiste Abdel-Rahman Shawkat. Malgré que les commanditaires, Hanna Youssef et Nounou Bahar, soient un couple extravagant et plutôt suspect, le narrateur se lance dans les recherches de ce suiveur irakien de Sartre, mort dans des circonstances mystérieuses, qui habita Bagdad dans les années 50 et 60, connu vraiment Sartre, et se maria avec une femme de ménage parisienne qui présenta comme une cousine du philosophe français. La tâche du biographe s’avère plus compliquée que prévue, car plutôt qu’écrire ses pensées Abdel-Rahman Shawkat étalait ses réflexions philosophiques dans les cafés, les maisons closes et les cabarets de Bagdad. La nausée pour lui c’était plutôt s’enivrer d’alcool et femmes.

Biographie fictive décalée :

Le récit débute à la fin du siècle avec l’écrivain biographe commençant ses recherches, et s’emboîtera de façon assez fluide avec le résultat de ces enquêtes : Une biographie romancée de ce qui a été ou aurait pu être la vie du philosophe dans le Bagdad des années 50 et 60. Suivant le philosophe et tout son entourage, Bader trace un brillant caléidoscope de la société Bagdadienne du milieu du XXe siècle, au même temps qu’il jette un regard farceur sur la capacité de l’être humain à se construire une image publique au point de la mélanger avec la propre identité. Petit à petit l’enquête se complique et les recherches du biographe mènent vers certaines zones d’ombre qui pointent vers la mort mystérieuse du philosophe.

Avec sa multitude de prix dans le monde arabe, ‘Papa Sartre’ a tout pour plaire aussi aux lecteurs occidentaux. Ne vous laissez pas effrayer par la présence de Sartre et l’existentialisme dans le récit, ce ne sont que prétextes pour développer la vie d’un personnage haut en couleurs dont les idées n’ont rien de philosophiques au sens strict. Il s’agit plus d’un imposteur que d’un penseur.

Car pour Abdel-Rahman Shawkat la nausée de Sartre sera l’alcool et les femmes, et l’existentialisme sera le rejet de tout ce qui lui ferait travailler ou dire quelque chose de concret. Abdel-Rahman Shawkat évite soigneusement toute question qui pourrait le demander des explications trop pointues, et dévoile ses partis pris philosophiques dans des tirades délibérément incompréhensibles (voir citation). Vraiment fasciné par la figure de Sartre et son aura mythique, le seul regret de cet intellectuel charlatan est de ne pas être borgne comme son idole. Il navigue dans un monde vague que de philosophique n’a qu’une vaine apparence.

Malgré quelques longueurs, certaines redondances et un petit côté décousu, le roman se lit avec facilité par son humour décalé et le regard remplit de tendresse que Bader porte sur les failles et les côtés les plus faibles de ses personnages. Surprenant.


Citation :

« Pour Ismaël, la philosophie devait nécessairement échapper à l’entendement. Dans les propos de son maître à penser, c’était l’inintelligibilité qui l’attirait et le fascinait. Les formules vides de sens et les spéculations fumeuses plaçaient AbdelRahman au-dessus de la mêlée, elles lui garantissaient à la fois une supériorité sur ses semblables, une grande popularité auprès de ses contemporains et des perspectives d’avenir qui rassuraient beaucoup ses parents. Ses ratiocinations les plus osseuses ne faisaient qu’accroître son influence sur les gens crédules. »

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