(沈黙 Chinmoku, 1966)
Traduction : Henriette Guex-Rolle. Langue d’origine : Japonais
⭐⭐⭐
Ce que raconte ce roman :
Japon 1638. Le pays se ferme à toute influence extérieure. Le christianisme, jadis fleurissant dans le pays, devient interdit. Les chrétiens sont chassés, persécutés, torturés et contraints de renoncer publiquement à leur foi. Le récit du père Ferreira, un missionnaire prestigieux, respecté par toute la communauté religieuse, met Rome en émoi. Selon la rumeur, Ferreira aurait apostasié et renoncé au christianisme. Deux pères jésuites portugais, Sébastien Rodrigues et François Garrpe, disciples de Ferreira, sont envoyés au Japon, pour trouver leur maître et continuer son labeur d’évangélisation. Arrivés dans un pays on ne peut plus hostile à leur projet, ils vont vite comprendre que si bien une petite partie de la population semble partager leur foi et leurs inquiétudes, leur seule présence met en danger permanent toute la communauté.
Le silence assourdissant de Dieu devant la barbarie :
Shūsaku Endō, japonais de foi chrétienne, écrivit avec sensibilité et maîtrise sur un sujet complexe et épineux, sans jamais tomber ni dans le manichéisme ni dans le schéma simpliste, réfléchissant davantage sur les questions dérivées de ce conflit théologique, plutôt que sur les réponses. Plus que la destinée de la foi, l’écrivain met au centre du récit le dilemme moral auquel le père Sébastien doit faire face : Apostasier pour arrêter le supplice de ses suiveurs, ou rester fidèle à la foi et assumer les conséquences de la barbarie sous sa conscience.
Pour arriver à véhiculer ce dilemme d’un point de vie dramatique et philosophique, le roman ne ménage pas le dur quotidien du prêtre et de ses suiveurs, et décrit avec réalisme l’effroyable persécution qui se déroula vraiment à cette époque. Des tortures inimaginables, mépris pour la dignité et l’identité humaines, tout pour extirper le christianisme de l’île, dont la seule idée était considérée par les autorités comme très dangereuse pour la culture nippone. Le récit est narré à la première personne pendant la plupart de l’œuvre, sous la forme de lettres que le père Sébastien envoie à Portugal pour tenir informé la communauté de l’avancée de leur projet. Mais petit à petit le récit passé à la troisième personne lorsque le prêtre commence à faire vraiment face à la pression pour abjurer de la foi.
Le personnage du père déchu Ferreira exista vraiment et son histoire réelle semble respectée dans les grandes lignes. Ce jésuite référencié dans la communauté missionnaire apostasia en 1933 sous la torture et finit ses jours au Japon dans un temple bouddhiste sous le nom de Sawano Chuan, marié avec une japonaise, travaillant pour l’élargissement des connaissances nippones en matière d’Astronomie et de Médecine, grâce à la traduction d’ouvrages. Même si doté d’un certain confort, il aurait vécu sans doute habité par ses démons.
Beau récit par la plupart, malgré quelques irrégularités, comme le manque de perspective sur le jugement porté sur l’apostasie par la pure survie. C’était très mal vue à cette époque, la dignité et le courage étant valeurs supérieures que la survie individuelle, mais du coup le livre peut sonner étrange pour le lecteur moderne, pour lequel honneur et dignité n’ont pas ce sens aussi extrême. Le rythme et déroulement du récit sont parfois confus, même si l’œuvre se lit aisément. Pas sûr que la traduction (il est traduit à partir de la traduction anglaise) n’y soit pas pour quelque chose. L’horreur et le sadisme de certaines tortures peuvent rebuter quelques lecteurs, mais la sensibilité et finesse du récit restent remarquables. Le roman prend son envol dans la partie finale, lorsqu’il se centre sur les doutes et le dilemme moral du protagoniste, angoissé, dérouté et déprimé devant le silence assourdissant de Dieu face à la chute effroyable de la raison.
Martin Scorsese réalisa une belle adaptation cinématographique en 2016, avec Andrew Garfield, Adam Driver et Liam Neeson dans les rôles principaux.
Citation :
« Il préférait que la mort vînt, au plus vite, mettre un terme à une incertitude quotidienne et intolérable. La vie elle-même, Dieu et la fois, n’étaient plus qu’un déchirement, n’offraient plus qu’un avenir mélancolique. Dans le secret de son cœur, il pria pour que la lassitude de son âme et de son corps entraînât pour lui une mort rapide. »
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