Littérature des 5 continents : AfghanistanAsie

Syngué sabour. Pierre de patience

Atiq Rahimi

(2008)
Langue d’origine : Français
⭐⭐⭐⭐

Ce que raconte ce roman :

Une chambre presque vide dans un pays ravagé par la guerre et la désolation. Une femme s’occupe de soigner son mari, ancien combattant, qui est dans un état végétatif suite à une blessure par balle au cou. En attendant la délivrance, la mort de l’homme qui ne semble jamais arriver, la femme remémore leur vie commune et la terrible quotidien d’une femme dans ce pays dévasté par le conflit. Profitant que l’homme ne peux pas répondre ni réagir, elle règle ses comptes avec lui, déballant en fin toute sa vérité au-delà des non-dits de tous ses années de vie commune.

Confessions en attendant la délivrance :

Dans la tradition persane syngué sabour ou pierre de Patience fait référence à une pierre qui permet à celui qui l’utilise de condenser toute sa colère et sa souffrance. Dans ce roman assez unique, la pierre de patience, le syngué sabour de la femme sera son mari moribond, inerte, qui ne pourra plus la commanditer, la frapper ni lui interdire de vivre. En femme soumise, elle va continuer à le soigner, mais ses sentiments passeront facilement de l’amour à la haine. Il y a une progression dans son déballage, au fur et à mesure que d’autres personnages vont intervenir dans la narration, et qu’elle va dévoiler tous les sombres détails de leur passé. Cette confession de la femme au mari qui finalement ne peut pas l’empêcher de parler, vertèbre le roman et lui donne une structure simple mais très efficace.

Pour les lecteurs connaisseurs de la littérature espagnole, ce court et merveilleux roman va sans doute leur rappeler le chef d’œuvre de Miguel Delibes ‘Cinq heures avec Mario’, où une femme veillait le corps de son mari pendant cinq heures et lui déballait toutes ses vérités. Même si les ambiances sont radicalement différentes, le parti pris est similaire, et à travers les réflexions de la femme narratrice le lecteur arrive à connaitre l’homme qui était son époux. Ce dispositif narratif du mari dont on va tout apprendre de façon indirecte, est le grand atout de la narration.

Premier roman écrit en français par l’écrivain afghan exilé en France, ‘Syngué sabour’ est une œuvre très épurée, presque minimaliste. Le roman est court, les dialogues sont secs et directs, les descriptions brèves et sans fioritures, et le français sobre et ciselé. Dans cet huis clos à deux doigts du monologue théâtrale, où cette femme aura par la première fois le droit de vraiment s’exprimer, toute une vie de misère et souffrance sera mise en lumière, illustrant le terrible quotidien des femmes dans certains pays du monde. Même s’il n’est jamais mentionné dans le livre, on parle bien sûr de l’Afghanistan, et son mari gisant est probablement un combattant taliban.

Pour beaucoup des lecteurs lambda que je représente, le Prix Goncourt est plutôt une indication d’un roman à éviter, mais ce serait dommage de passer à côté de ce livre, tellement le prix qu’il décerna en 2008 me semble largement mérité. Une fabuleuse réussite qui porte une profonde réflexion sur la condition féminine en Afghanistan et ailleurs.


Citation :

« Là, je me suis aperçue qu’en effet depuis que tu étais malade, depuis que je te parlais, que je m’énervais contre toi, que je t’insultais, que je te disais tout ce que j’avais gardé sur le cœur, et que toi tu ne pouvais rien me répondre, que tu ne pouvais rien faire, contre moi…tout ça me réconfortait, m’apaisait. »

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