(Chốn vắng, 2002)
Traduction : Huy Duong Phan. Langue d’origine : Vietnamien
⭐⭐⭐⭐⭐
Ce que raconte ce roman :
Quatorze années après la fin de la guerre du Vietnam, Bôn revient dans son village. Déclaré mort pendant la guerre, l’ancien combattant a mis des années à trouver la voie du retour à la maison, toujours guidé par l’idée de retrouver sa femme adorée, Miên, et reprendre la vie d’antan. Mais à son retour, Bôn retrouve sa femme Miên heureusement mariée avec un autre homme, Hoan. Avec leur enfant ils forment une famille aimante et respectée. La tradition vietnamienne demande que l’épouse retourne chez son premier mari comme à récompense pour les services prêtés à la patrie. Entre Miên et ses deux maris s’établit un complexe triangle amoureux aux dimensions tragiques.
Miên et ses deux maris :
Probablement son chef d’œuvre, ‘Terre des oublis’ est le roman qui fit connaître Duong Thu Huong en France, malgré qu’il soit toujours interdit au Vietnam, comme le reste de son œuvre. Après une tournée proposée par sa maison d’édition pour promouvoir la traduction française de ‘Terre des oublis’, Huong décida de rester en France, où elle habite depuis 2006. Le style de cette autrice vietnamienne se caractérise par une sensibilité et finesse remarquables, sans pour autant renoncer à montrer le côté le plus dur et amer des vies des personnages. Car dans son œuvre on trouve un penchant marqué pour le dramatique et la description des abymes psychologiques conséquence des années de guerre, en plus d’une critique acerbe du régime communiste, et de la vision rétrograde de la femme dans la culture traditionnelle. Dans tous les cas, si vous cherchez un livre amusant il vaut mieux éviter celui-là, ‘Terre des oublis’ est un mélodrame très beau mais aussi très lourd.
Ce long livre se centre presque exclusivement sur ces trois personnages : Bôn, le premier mari qui revient de la guerre affaibli et misérable, Hoan, le deuxième mari, riche entrepreneur, père et mari aimant, et Miên, femme tiraillée entre l’amour et le devoir, entre le bonheur et la soumission à cette tradition totalement dominée par la peur de l’opinion publique. Chaque chapitre se centre sur un de ces trois personnages, et décrypte ses émotions et son point de vue sur l’évolution du conflit. Le récit plonge souvent dans le passé pour nous expliquer tous les antécédents du drame. Par exemple lors d’un chapitre pas apte pour les cœurs sensibles, on suivra Bôn perdu dans les bois pendant la guerre, essayant de préserver le cadavre du Sergent de son régiment. Duong Thu Huong ne ménagera pas le lecteur, c’est parfois cru et viscéral, et certaines séquences peuvent être perçues comme insoutenables.
La perspective psychologique change donc à chaque épisode, enrichissant le récit, et échafaudant la structure de ce complexe drame triangulaire. Raconté par la plupart par un narrateur omniscient à la troisième personne, quelques phrases à la première personne nous permettent de pénétrer davantage dans la psyché des personnages. Personnellement j’ai trouvé ces dialogues intérieurs un peu redondants, souvent sont trop directes et simples et ne rajoutent rien que le narrateur omniscient n’aurait pu évoquer d’une façon un peu plus subtile et élégante. C’est le seul élément narratif dont je n’en suis pas absolument convaincu.
Par ailleurs le roman est magnifique. Avec énormément de sensibilité et un rythme lent mais soutenu, on assiste à un drame qui puise ses sources dans la tragédie grecque. Ce retour inattendu du premier mari sera le seul sujet, le seul élément déclencheur de l’intrigue, à partir duquel s’en découle toute la narration. Aucun des trois personnages n’est maître de son destin, tous les trois subissent cette situation impossible sans pouvoir résoudre le conflit, sombrant dans un désespoir total. À travers ce triangle amoureux insoluble Duong Thu Huong réfléchit sur le poids des traditions et le rôle soumis attendu de la femme dans le Vietnam de l’après-guerre.
Plongée émouvante au cœur du Vietnam, ses traditions, ses paysages, sa culture culinaire, son histoire, ses joies et ses misères, le roman propose un ensemble dépaysant et poétique, qui oscille en permanence entre la fatalité et l’humanisme. Très belle découverte.
Citations :
« Elle doit revenir vers Bôn, renouer la vie conjugale d’antan, reprendre un amour éteint, fané, l’amour d’un fantôme errant aux abords d’un cimetière. »
« Car il était sûr que Mièn n’aimait que lui, lui seul, uniquement lui. Son retour vers le premier homme n’était qu’un suicide, le sacrifice d’une femme née dans une société soumise à d’incessantes guerres, où la vie tremblante des hommes palpitait comme des ailes éphémères, où toute leur énergie s’enracinait dans la fidélité et la résignation tenace de leur épouse. La démarche accablée de Miên dans l’aube brumeuse surgissait comme un film qu’on projetait et reprojetait sans fin dans son esprit. »
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