(Train to Pakistan, 1956)
Traduction : Maurice Beerblock. Langue d’origine : Anglais
⭐⭐⭐
Ce que raconte ce roman :
Panjabi, Inde, 1947. La partition a créé une division tranchante de la population et les conflits et querelles entre les deux groupes religieux ont débouché dans des tueries effroyables. Mais la ville de Mano Majra, à côté de la frontière pakistanaise, semble être épargnée de la vague de haine et horreur qui secoue le pays. Depuis des générations, sikhs et musulmans y vivent paisiblement en harmonie, partageant une même langue et des valeurs similaires, toujours dans le respect de la religion de l’autrui.
Mais un jour le patriarche de la seule maison hindoue de la ville, meurt assassiné. L’enquête se déroule dans une ambiance électrique car les rumeurs des massacres qui se déroulent ailleurs font monter les suspicions entre les communautés. Le préfet désigne les sikhs Iqbal Singh et Juggut Singh comme à coupables potentiels mais c’est évident qu’aucun de deux n’a commis le crime.
Drame humain lors de la partition de l’Inde :
Khushwant Singh écrit ‘Train pour le Pakistan’ quelques années après les évènements historiques qu’il décrit, et qu’il avait vécu en première personne. La première chose qui frappe dans ce roman marquant est le soin que l’écrivain, lui-même Sikh, prend à éviter toute stigmatisation ou culpabilisation d’un des deux côtes du conflit. Dans une volonté affirmée d’apaisement, les musulmans d’un côté et Sikhs et hindous de l’autre seront également responsables de la haine sanglante qui embrassa la population suite à la partition. Citation : « Les musulmans ont dit que les hindous avaient planifié et commencé les tueries. Selon les hindous, les musulmans étaient à blâmer. La réalité est que les deux côtés ont tué. Les deux ont tiré, poignardé, embroché et matraqué. Les deux ont torturé. Les deux ont violé. »
Lors de la partition des Indes britanniques en 1947, l’ancien territoire de la colonie se divise arbitrairement en deux pays selon sa religion. D’un côté le Pakistan accueillera les musulmans et d’un autre l’Inde accueillera les hindoues et sikhs. Cette division arbitraire de la population créa énormément des conflits car des millions de musulmans habitaient paisiblement depuis des générations dans un territoire qui désormais sera considéré comme hindou, et également le futur Pakistan musulman était le foyer d’une énorme communauté hindou et Sikh. D’un jour à l’autre le décret de partition provoqua des exodes massifs de population qui regagnait le pays assigné selon sa religion. Tout vira au cauchemar lors des tueries des ‘trains fantômes’ : Des trains qui étaient censés porter à terme ces exodes et permettre d’échapper à la barbarie, rentraient en Inde remplis de hindoues et sikhs morts assassinés et d’autres allaient au Pakistan chargés avec des cadavres des musulmans massacrés. C’était un carnage effroyable.
Même si l’action se situe dans une petite ville frontalière sur la ligne du train qui relie Delhi et Lahore, le roman ne se centre pas sur ces évènements historiques entrainés par la partition. Khushwant Singh met plutôt l’accent sur les personnes directement impliquées dans le conflit, pour apporter la dimension humaine au récit. Cette approche locale des conséquences de la partition est sans doute l’atout majeur du livre, et permet de nuancer et développer son discours moral, à travers un ensemble de personnages qui incarnent chaque position dans le conflit.
Le dilemme entre se révolter contre l’injustice ou renoncer à l’action est crucial pour le développement des enjeux narratifs du livre. Il y a trois personnages relativement centraux, dont le positionnement moral sera décortiqué le long de la narration. Hukum Chand est un magistrat visiblement corrompu qui, malgré ses états d’âme, garde ses distances avec le conflit et préfère laisser faire. Puis les deux prisonniers Sikhs auront de caractères absolument opposés. Iqbal Singh est un travailleur social qui a vécu en Angleterre, où il a acquis des manières européennes, et qui se propose de mobiliser la communauté Sikh vis-à-vis des échéances électorales qui s’approchent. Il est cultivé, discret, et réfléchi, mais son physique est peu imposant. Tout le contraire que Juggut, un homme plus vulgaire et illettré qui courtise une jeune musulmane. Juggut est physiquement impressionnant, un vrai géant, et son caractère est changeant, totalement imprévisible et lunaire.
La prose est simple mais incisive et le livre se lit aisément, même si on aurait aimé un peu plus de présence féminine (les femmes sont presque inexistantes ou ont peu d’impact sur l’intrigue), et aussi un peu plus d’introspection psychologique et de travail sur le caractère des personnages, pour souligner les différents dilemmes qui structurent le récit. C’est quand même un roman émouvant, fin et intelligent.
Citations :
« La liberté est pour le gens cultivés qui se sont battus pour elle. Nous étions des esclaves des anglais, maintenant nous seront des esclaves des indiens cultivés, ou des pakistanais. »
« La vie est trop courte comme pour que les gens aient une conscience. »
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