Littérature des 5 continents : AsiePalestine

Un détail mineur

Adania Shibli

(تفصيل ثانوي, Tafṣīl Ṯānawī, 2016)
Traduction :   Stéphanie Dujols.   Langue d’origine : Arabe
⭐⭐⭐⭐

Ce que raconte cette novella :

Désert du Néguev, 1949. Un officier de l’armée israélienne trouve une jeune femme palestinienne dans un village du désert que l’armée est en train d’occuper. L’homme, rongé par plusieurs obsessions, décidé de la garder prisonnière dans la garnison, mais bientôt les soldats s’intéressent à elle, avec l’intention de la violer. Plus de cinquante ans plus tard, une jeune femme palestinienne enquête sur cet incident, fascinée par un détail mineur : Les faits se sont déroulés 25 ans jour pour jour avant le jour de sa naissance.

Puissant diptyque sur la guerre en Palestine :

La guerre entre Hamas et Israël en Octobre 2023 impacta la trajectoire de cet ouvrage de l’écrivaine Palestinienne Adania Shibli. Censée recevoir le prix Liberaturpreis et participer à une série d’actes à la Foire du livre de Francfort, les attaques du Hamas contre Israël du sept octobre 2023 changèrent la donne. La cérémonie du prix qu’elle devait recevoir fut reportée et sa rencontre avec le public annulée. Selon la direction du festival l’objectif de cette décision controversée était de « rendre les voix israéliennes particulièrement audibles ». Mais cela provoqua plutôt un élan d’intérêt par l’ouvre de Shibli. Pendant quelques jours ‘A minor detail’, la version anglaise de ce livre, fut distribuée gratuitement sur toutes les plateformes Kindle.

Controverse appart, le récit est fascinant, même si sans doute pas pour tout le monde. Très critique avec l’occupation des territoires palestiniens, comme cela ne pouvait pas être autrement, la novella ne cherche pas forcément à mettre cette dénonciation au centre du récit. Shibli réfléchit plutôt sur la banalité de la violence contre les femmes dans ce contexte belliqueux, la dureté des conditions de vie dans les territoires occupés, et les difficultés du devoir de mémoire en temps de guerre. C’est un libre simple et épuré, puissant par son contenu et le traitement de ses thèmes, et brillant par sa structure et son parti pris littéraire.

La novella prend comme à base des fait réels arrivés en 1949, dévoilés plus de cinquante années plus tard dans un journal israélien de 2003. La narration est divisée en deux parties totalement distinctes qui se complémentent car montrent l’incident selon deux points de vue totalement différents. La première partie, narrée à la troisième personne, nous montre l’évènement en directe, de façon immédiate, du point de vue israélien. Dans la deuxième partie, l’incident est vu en rétrospective, du point de vue palestinien, et la narration se fait à la première personne. Un effet miroir relie les deux parties, avec certains éléments symboliques qui se répètent, comme la douche rénovatrice, un chien qui aboie, ou la lumière qui perce l’obscurité, concepts narratifs présents dans les deux récits.

Le style peut devenir difficile pour certains lecteurs plus intéressés par une narration axée sur l’émotion. Le récit est ultra-détaillé et objectif, clinique. Les moindres actions sont retracées avec une précision chirurgicale. Notamment dans la première partie, où le quotidien de l’officier israélien est décrit avec tout luxe de détails, insistant sur le moindre aspect de ses manies ; l’hygiène, l’écrasement systématique des insectes et araignées, où cette obsession lancinante par une blessure qui suppure et qu’il doit soigner en permanence, symbole sans doute de corruption morale. D’un autre côté dans la deuxième partie, le récit s’attardera aussi à décrire tous les détails du parcours de notre protagoniste palestinienne avec sa voiture dans une partie interdite du désert, même si la narration à la première personne donne une tonalité plus subjective.

Malgré cela, on n’a pas la sensation que ces descriptions ultra-détaillées ralentissent le récit. ‘Un détail mineur’ n’est pas redondant ni morose, bien au contraire, il progresse d’une façon implacable. La narration ne cherche pas l’émotion facile chez le lecteur, mais plutôt le submerge dans un ensemble de détails infimes, très porteur et fortement métaphorique.


Citation :

« Je rentre dans la cabane, et même si je suis épuisée et totalement désintéressée par l’idée de prendre une douche, l’odeur du pétrole est encore trop présente en moi, me forçant à me diriger vers la salle de bain. »

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