Littérature des 5 continents : AsieJapon

Une affaire personnelle

Kenzaburo Oe*

(個人的な体験, Kojinteki na taiken, 1964)
Traduction : Claude Elsen. Langue d’origine : Japonais
⭐⭐⭐

Ce que raconte ce roman :

Bird, à vingt-sept ans, vient d’être père d’un enfant avec un lourd handicap, une hernie cérébrale. Une solution ou une vie normale, ne sont même pas envisagées. Bird plonge dans un dilemme terrible, face à l’immense tentation de se débarrasser de cet enfant qui l’encombre et qu’il n’arrive pas à évoquer en tant qu’être humain.

Le long de quelques jours, sans communiquer la réalité à sa femme, qui est dans un état très faible après l’accouchement, Bird va noyer son désarroi dans l’alcool et plongera dans une étrange relation avec Himiko, une femme en grande détresse psychologique. Mais les échéances médicales qui entourent le nouveau-né suivent sont cours.

Malaise :

Bird refuse de faire face à son problème, sa solution sera une étrange fuite en avant. Il ne voudra pas toucher l’enfant, même pas le regarder, toujours évoquera sa mort certaine comme quelque chose de souhaitable, et ne voudra jamais lui donner un prénom. Il évitera toute action qui pourrait doter l’enfant d’une identité, d’une caractéristique humaine, il pensera à lui plutôt comme un monstre ou une abomination. L’égoïsme, jusqu’à un certain point compréhensible, de Bird nous plonge dans un malaise que j’ai rarement connu à la lecture d’un livre, d’autant plus qu’on sait que ce récit est en bonne partie autobiographique. Kenzaburō Ōe a eu un enfant lourdement handicapé en 1963.

Hikari, le fils de Ôé, a énormément influencé son œuvre. L’idée étant de laisser son fils de s’exprimer à travers ses romans, de lui fournir une voix. Il a écrit plusieurs livres qui traitent le sujet de la parentalité d’enfants handicapés, avant d’abandonner l’écriture pendant un très long période. Il recevra le Prix Nobel en 1994.

Le sujet principal de ‘Une affaire personnelle’ est l’acceptation du handicap d’un enfant, sujet complexe comme peu, abordé d’une façon très crue et décharnée. C’est douloureux sans pathos, la descente aux enfers intérieurs de Bird est remplie de violence psychologique. C’est aussi difficile d’empathiser avec lui que de le juger. Intelligemment, Ôé a enlevé du récit la mère, qui le long des trois jours est convalescente, maintenue éloignée de la réalité, dans une demi-mensonge par rapport au sort de l’enfant. Bird est seul face à son dilemme. Cela permet une introspection profonde dans son âme, qui sera appuyée par le contraste avec sa maîtresse Himiko, personnage de grande complexité, quelque peu complice de la fuite en avant du protagoniste.

Un livre dur, pas facile à lire, mais cependant, incroyablement vrai et juste dans sa façon de dépeindre l’homme qui fuit son sort. Lu d’un trait en une seule journée.


Citation :

« Il est possible de vivre de plusieurs manières différentes, Bird. Il y a des gens qui vont de mensonges en mensonges jusqu’à leur mort. »

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