(Apeirogon, 2020)
Traduction : Clément Baude. Langue d’origine : Anglais
⭐⭐⭐
Ce que raconte ce roman :
Malgré tout ce qui les oppose, l’israélien Rami Elhanan et le palestinien Bassam Aramin sont deux amis unis autant par le deuil que par le souhait de trouver une voie pacifique pour régler le conflit qui oppose leurs pays. Anciens combattants dans des bandes contraires, tous les deux ont perdu une fille dans la guerre : Smadar, fille de Rami est morte à treize ans, lors d’un attentat suicide perpétré par des kamikazes palestiniens ; tandis que Abir, la fille de Bassam, est morte à dix ans, tuée par un soldat de l’armée israélienne.
Amitié improbable avec message pacifiste :
Pour explorer l’impossible, c’est-à-dire le conflit israélo-palestinien, Colum McCann structure sa narration autour de l’histoire de deux personnes qui existent vraiment : L’israélien Rami Elhanan et le palestinien Bassam Aramin se sont connus dans une réunion des ‘Combattants pour la paix’, association qui prône pour la fin du conflit et l’amitié israélo-palestinienne. Ces parents en deuil qui étaient censés s’entretuer, parcourent le monde essayant de trouver des voies de dialogue qui pourraient changer le monde et mener la paix.
Même si l’histoire de Rami et Bassam prend une bonne partie du récit, en réalité la plupart de l’œuvre décrypte d’autres sujets plus ou moins reliés avec le conflit central. Cet ensemble de digressions aura un intérêt variable pour le lecteur et la pertinence sera plus ou moins justifié. Parfois c’est fascinant, parfois irritant.
C’est un parti pris très littéraire qui sans doute donne un style original et intéressant, mais qui a mon sens alourdit et n’aide pas toujours à approfondir sur le sujet. Certaines digressions, rajoutent une dimension métaphorique à la narration, comme l’apeirogon lui-même, polygone à nombre infini de côtés, symbole sans doute de la multiplicité de vues possibles d’un conflit sans fin. Aussi les passages dédiés aux oiseaux migrateurs qui se trouvent piégés dans les feux croisés du conflit, l’histoire de comment la colombe de Picasso s’est érigée en symbole de paix, ou le geste du funambuliste français Philippe Petit, qui traversa en 1987 les quartiers arabe et juif de Jérusalem suspendu sur un long fil de fer.
Toutes ces digressions rajoutent beaucoup de nuances et approfondissent le récit. Mais d’autres chapitres ont un intérêt plus douteux. J’aurais vraiment aimé plutôt des digressions un peu plus pointues sur le côté historique du conflit au lieu de s’attarder sur l’histoire des parchemins de la Mer Morte, les aventures d’un marin maltais, les exigences culinaires de François Mitterrand, des explications techniques sur les balles réutilisables, ou les déambulations de Borges à Jérusalem. Certains chapitres sont d’à peine une phrase et ne semblent pas justifiés autre qui pour arriver au nombre 500, où le récit se disloque partiellement, prenant plus d’intérêt.
La structure du roman est sans doute son plus gros atout littéraire, avec une narration en double spirale qui ressasse une fois et une autre les deux évènements centraux, les morts tragiques des deux filles de nos deux protagonistes. En avant et en arrière dans le temps, tournant en cercles autour de ces deux évènements, la narration rajoute à chaque fois des nouveaux détails qui nuancent et approfondissent le conflit central. Dans l’intersection de ces deux événements la narration s’attarde aussi sur l’amitié de Rami et Bassam, dès leur connaissance au sein de l’association Combattants pour la paix, jusqu’à leurs conférences communes autour du monde.
Et c’est là qu’il se trouve l’âme du roman. L’amitié d’un juif fils de rescapés de la shoah et d’un palestinien qui a connu la prison, accusé de terrorisme est la partie la plus touchante de ce livre unique et courageux. Malgré être un peu alourdi par un style quelque part trop alambiqué, ‘Apeirogon’ est un roman émouvant, important et totalement recommandable.
Citation :
« Il y avait un intérêt énorme parmi les allemands. Un Israélien et un Palestinien voyageant ensemble. Plus que ça. Un Israélien hostile à l’Occupation. Un Palestinien étudiant l’Holocauste. »
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