Littérature des 5 continents : EuropeIrlande

Ce genre de petites choses

Claire Keegan

(Small things like this, 2020)
Traduction : Jacqueline Odin. Langue d’origine : Anglais
⭐⭐⭐⭐⭐

Ce que raconte ce court roman :

Irlande 1985, quelques jours avant Noël. Le charbonnier Bill Furlong mène une vie rangée avec sa femme et ses cinq filles travaillant d’arrache-pied pour joindre les deux bouts, dans un difficile contexte de précarité généralisée. Ces derniers temps Bill se pose plein des questions par rapport au sens de la vie et plonge souvent dans des remembrances de son passé atypique. Fils d’un père inconnu, il avait été adopté après la mort de sa mère par un gentil couple, qui l’avait élevé avec amour et des bonnes valeurs. Mais un jour Bill livre le charbon dans le couvent voisin et fait une découverte qui va ébranler toutes ses certitudes.

Dilemme de conscience :

Merveilleuse novella qui touche le sujet de la crise de conscience crée lorsqu’on se voit obligés de perpétuer une injustice sans pouvoir se rebeller. Car Bill découvre que dans le couvent voisin un groupe de femmes travaille dans des conditions déplorables dans une blanchisserie Madeleine, destinée à des ‘femmes perdues’. Tout le monde, même sa femme, semble connaître le scandale, mais personne ne dit rien. L’église est tout puissante et tout affrontement publique avec elle serait équivalent à une condamnation sociale. Selon les conseils de sa femme et ses voisins, Bill se voit forcé à oublier ce qu’il a vu. Mais avec son passé qui fait surface et ses états d’âme de plus en plus fréquents, il ne peut continuer à ignorer la réalité, sa vie risque de basculer.

L’affaire des ‘couvents de la Madeleine’ éclata en Irlande dans les années 80, ternissant la réputation de l’église catholique par sa connivence et son inaction vis-à-vis du scandale. Les couvents de la Madeleine étaient destinés à la rééducation de ‘femmes perdues’ ou de ‘mœurs légères’. Ces institutions étaient plutôt bien vues dans l’Irlande très catholique du XXe siècle, mais la réalité était très sombre : Dans ces blanchisseries des milliers de femmes (officiellement 10.000 mais on suspecte trois fois plus) étaient emprisonnées et forcées au travail dans une cadence et unes conditions effroyables.

Sous la couverture d’un foyer pour des mères célibataires, des religieuses tyranniques tenaient d’une main de fer cette armée de travail forcé. C’était l’enfer de l’esclavage et l’enterrement en vie pour ces jeunes filles égarées souvent mineures, auxquelles on leur arrachait leurs enfants sans aucun consentement. Abandonnées dans ces institutions sans pitié ni soins, soumises aux abus sexuels, physiques et psychologiques, on déplore des milliers des morts (des femmes et des enfants) jusqu’à la fermeture de la dernière blanchisserie qui eut lieu en 1996. L‘ouverture d’une fosse commune de l’orphelinat de Tuam dévoila des centaines de cadavres de nouveau-nés datant des années 50. Cet effroyable scandale est la base narrative du dilemme moral qui propose la novella de Keegan.

‘Ce genre de petites choses’ est une phrase utilisée dans le livre pour décrire les sujets de conversation de Bill et sa femme. C’est une belle description psychologique de toutes les subtilités de la vie dans le mariage et de l’ambiance dans une famille nombreuse, soudée et solide dans l’Irlande des années 80. C’est touchant par sa simplicité et la perspicacité avec laquelle les silences, les non-dits, et les petits détails du quotidien composent un riche ensemble de grande profondeur psychologique.

Magnifique court récit avec un sujet poignant traité avec finesse et sensibilité rares.


Citation :

« Toujours ils poursuivaient sans pause, mécaniquement, vers le suivant travail à faire. Comment serait la vie, se disait lui, s’ils avaient le temps de penser et réfléchir sur les choses ? »

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