(Conversations with friends, 2017)
Traduction : Laetitia Devaux. Langue d’origine : Anglais
⭐⭐⭐⭐
Ce que raconte ce roman :
Dublin. Frances et Bobbi, des jeunes filles universitaires, maintenant amies et avant petites amies, font une lecture publique de ses poésies. Mélissa, une jeune femme sur la trentaine, appartenant au milieu artistique de la capitale, les regarde depuis l’audience et les invite chez elle. Elles connaitront Nick, le mari de Mélissa, un acteur toujours beau et jeune mais quelque peu sur le déclin. Le rencontre entre ces quatre personnages sera complexe, particulièrement lorsque Frances et Nick commencent à être attirés l’un par l’autre.
Millennials névrosés :
Comme ‘Normal people’, le roman le plus connu de Rooney, ‘Conversations entre amis’ sera quitte ou double pour le lecteur : Soit vous rentrerez facilement dans l’univers complexe de ces millennials remplis de névroses, soit vous vous ennuierez mortellement et trouverez cela creux à souhait. Personnellement je me trouve très particulièrement touché par ces jeunes personnages toujours un peu paumés, toujours en pleine quête d’eux-mêmes, qui n’arrêtent jamais de saborder leurs propres vies, au lieu de prendre des décisions logiques qui pourraient leur convenir mieux. Dans l’univers de Sally Rooney, la jeunesse c’est cela : la déroute totale des sentiments.
Rooney décrit parfaitement la confusion que représente être jeune aujourd’hui. Les hésitations constantes, la vision plus ouverte de la sexualité sans besoin d’étiquettes, la recherche de ce qui nous aimons vraiment, cette fébrile et permanente quête de soi, tous ces éléments sont traités de façon simple et sensible, sans jamais tomber dans l’excès ni la caricature. Le livre est bien réaliste, même si certains lecteurs peuvent être agacés par ces personnages qui se psychanalysent constamment. Pour orienter les lecteurs plus âgés comme moi, je dirais que on est dans une version jeune et moderne des films le plus réussis de Woody Allen.
Ces jeunes sont très touchants par la grande quantité de failles et faiblesses qui lestent leurs vies, et par les complexes relations qui tissent entre eux, avec leurs différentes visions de l’amour et la sexualité. Les quatre personnages principaux seront aussi marqués par leurs différences de classe, Mélissa et Nick venant d’un univers riche et bourgeois, tandis que Frances se trouve dans une situation précaire.
Narré à la première personne par la protagoniste, Frances, on a un accès facile à sa façon de raisonner (même si elle cache parfois son jeu), mais pour autant on n’éprouvera plus facilement de l’empathie pour elle. Probablement sa copine Bobby et même Nick seront personnages plus lisibles et intéressants pour l’audience, mais Frances incarne parfaitement ce côté autodestructeur qui caractérise certaines jeunes de notre époque, donnant la parole de façon très directe et simple à toute une partie de cette jeune génération souvent si mal comprise.
Rempli de dialogues soignés mais finalement très courts et quotidiens, et une narration plutôt simple, ‘Conversations entre amis’ peut sembler un livre banal, mais à mon avis, cette absence d’artifices aide le récit à dévoiler toute sa profondeur. Seulement quelques rebondissements subtils appuient une intrigue qui se développe presque sans ficelles narratives apparentes, tout en finesse. ‘Conversations entre amis’ est un brillant premier opus, frais et rempli d’ironie, idéal pour présenter l’univers de cette autrice irlandaise dont le succès ne cesse, à juste titre, de grandir.
Citation :
« Finalement Nick me regarda et je le regardai à mon tour. Je sentis comme si une clef tournait très fort dans mon corps, tournant de façon tellement puissante que je ne pouvais rien faire pour l’arrêter. Ses lèvres se séparèrent comme s’il allait dire quelque chose, mais il juste inspira et sembla avaler. Ni l’un ni l’autre ne fit un geste ni salua, simplement nous nous regardâmes, comme si nous étions en train d’avoir une conversation privée que personne ne pouvait entendre. »
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