(El doctor Centeno, 1883)
Traduction : Pas connue. . Langue d’origine : Espagnol
⭐⭐⭐
Ce que raconte ce roman :
L’adolescent Felipe Centeno arrive à Madrid avec des hauts espoirs de devenir quelqu’un, et pour ces nobles ambitions on l’appellera Docteur. La rencontre avec le jeune Alejandro Miquis, étudiant aspirant à auteur théâtrale, marquera les deux amis. Sous le conseil de Miquis, Centeno commence à servir dans la maison du curée Pedro Polo, sauf que Polo est trop exigeant et suite à plusieurs mésaventures, Centeno devra improviser pour chercher une issue intéressante.
Croisée des personnages clés :
‘El doctor Centeno’ se centre sur les péripéties de Miquis et Centeno, jeunes pleins d’énergie mais dont leurs vies se compliquent, par un excès d’improvisation, manque de concentration et défaut de planification. Ce n’est pas un des romans le plus aboutis de Galdós, ni la structure ni le thème ne sont pas trop clairs, le personnage principal cède trop souvent le protagonisme soit à Miquis soit à Polo, et l’intrigue évolue d’une façon parfois chaotique. Cependant le talent de Galdós pour la création de personnages uniques brille ici, peut-être plus que jamais auparavant.
Pleins de faiblesses, nos personnages sont teints d’un incroyable humanisme, et approchés avec délicatesse et beaucoup de tendresse. Curées sans vocation, étudiants désœuvrés, chômeurs, pauvres, fainéants, magouilleurs… C’est toute une panoplie d’anges déchus qu’on trouve dans ce récit et qui, à nouveau, relient Galdós avec Dickens. Cet ensemble de types espagnols qui vivotent entre la marge et la société productive sont le fruit de la sensibilité d’un écrivain au sommet de son art.
Certains étaient déjà présents dans d’autres romans de l’auteur : Le généreux Miquis par exemple, était l’ami de ‘La déshéritée’, et le propre Felipe Centeno apparaissait déjà dans ‘Marianela’ et ‘La familia de Leon Roch’. Mais une nouvelle légion de personnages sont présentés ici et vont jouer un rôle dans les suivants romans de Galdós : Le prêteur Torquemada (qui aura sa propre série de romans), le curée Pedro Polo et les sœurs Amparo et Refugio (les trois seront protagonistes du drame ‘Tormento’), et la famille d’Ido del Sagrario (qu’on retrouvera dans ‘Fortunata et Jacinta’ et d’autres romans de l’auteur).
‘El doctor Centeno’ forme en quelque sorte une petite trilogie avec ‘Tormento’ et ‘La de Bringas’, les œuvres suivantes de l’écrivain. Les trois romans sont indépendants mais cela peut être intéressant de les lire dans l’ordre d’écriture.
Pérez Galdós, un génie très méconnu :
Probablement l’écrivain espagnol le plus réputé après Cervantes, le travail de ce génie du XIXe siècle est très méconnu dans l’univers Francophone, et donc très peu traduit. C’est bien dommage car il s’agit d’une œuvre gigantesque de dimensions Balzaciennes, autant par le volume que pour la qualité littéraire : ‘Fortunata et Jacinta’, ‘Miaou’, ‘Miséricorde’, ‘Doña Perfecta’, ‘Trafalgar’ sont seulement quelques romans remarquables parmi une œuvre colossal à tous les niveaux.
Dans la plupart de l’œuvre très prolifique de Pérez Galdós on retrouve une grande perspicacité psychologique qui nous permet de capter, par le biais d’un nombre incalculable de personnages, l’essence de l’humain et les inquiétudes de l’homme (et la femme) espagnol du XIXe siècle. D’un côté la classe moyenne, souvent décrite avec des airs de supériorité vis-à-vis des classes moins favorisées, mais tiraillée par une profonde angoisse de la perte de privilèges, et de la chute social et économique qui menacent toujours à l’horizon. Les classes plus populaires sont travaillés avec de la profondeur et de l’ironie, mais aussi avec tendresse et compassion. Le riche a peur de devenir pauvre, et le pauvre a peur de rester dans la pauvreté. L’utilisation des dialogues souvent vulgarisés, et des tournures de phrases très populaires, aide à comprendre ce côté « voix du peuple » qu’on a souvent associé à Galdós. Son style sobre, directe et épuré, recherchant le naturel au-dessus de tout artifice, n’est pas exempt d’un phrasée créatif et poétique et d’une richesse lexique fabuleuse.
La capacité de travail, la facilité et le talent pour l’écriture de Galdós sont évidentes quand on voit qu’il a écrit plus de 80 romans, environ 30 pièces du théâtre, des incalculables essais et publications, et a dirigé plusieurs magazines spécialisés, en plus de devenir député libéral pendant des nombreuses années. Naturaliste, costumbrista et réaliste à parts égales, Galdós connait très bien l’Espagne et connait aussi très bien la nature humaine. Son travail sur le côté misérable autant que sur le côté lumineux de l’être humain, couplé avec le réalisme de la société représentée, et l’incroyable finesse et diversité de ses personnages féminins, nous permet de situer ce géant de la littérature espagnole quelque part entre Zola et Balzac, et sans doute dans le panthéon des plus grands écrivains européens de la deuxième moitié du XIXe siècle.
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