Littérature des 5 continents : EspagneEurope

Gloria

Benito Pérez Galdós

(Gloria, 1877)
Traduction : Pas connue.   . Langue d’origine : Espagnol
⭐⭐⭐

Ce que raconte ce roman :

Ficóbriga, ville côtière dans la région espagnole de Cantabrie. Gloria Lantigua est une jeune femme, fille unique d’une famille bourgeoise conservatrice et fervente catholique, qui mène une vie monotone et sans stridences. L’arrivée de Daniel, un naufragé anglais, accueilli par charité humaine dans la maison, va chambouler la vie rangée de Gloria. Leur histoire d’amour sera fortement perturbée par les origines religieuses de Daniel, qui s’avèrent moins convenables que prévu, pour la traditionnaliste famille de Gloria.

Roméo et Juliette au XIXe siècle espagnol :

Galdós range ‘Gloria’ dans ces ’Romans de thèse’, avec ‘Doña Perfecta’, son roman précèdent. Et c’est la même thématique qui sera décortiquée ici. Dans ce drame sur l’intolérance religieuse, on verra l’univers provincial de l’Espagne arriérée et rétrograde, faire face à un monde plus évolué et progressiste. Sauf qu’ici cet univers intolérant est divisé entre deux mondes différents, aussi intransigeants l’un que l’autre, chacun rétrograde à sa façon.

Ces modernes Roméo et Juliette, appartiennent, comme dans la pièce Shakespearienne, à deux univers irréconciliables. Nos amants sont ici opposés par ses origines religieuses très différents. Tiraillés par l’univers fanatique provoqué par leur entourage et par ses propres croyances, les amours de Gloria et Daniel sont teints d’un halo tragique.

Anti-héroïne classique de l’œuvre Galdosienne, la femme tiraillée entre le plaisir et le devoir, prend ici le rôle central. Gloria Lantigua fera face à un dilemme impossible, souligné par son propre nom de famille : Lantigua effectivement a la même sonorité que ‘La Antigua’ (L’ancienne), ce qui nous situe déjà les origines traditionnelles et du catholicisme stricte de cette famille bourgeoise.

Comme dans ‘Doña Perfecta’, la ville prend protagonisme dans l’histoire : Ficóbriga incarne la vie provinciale, où l’univers restreint et rigide de la religion n’a pas évolué depuis des siècles. Pour créer cette ville imaginaire au bord de la mer, Galdós s’est largement inspiré de la ville de Castro-Urdiales (ancienne Flaviobriga à l’époque romaine), dédiée alors à la pêche, et que Galdós connaissait bien, car il passait une bonne partie de l’été avec ses sœurs dans une pension de Santander, la capitale de la Cantabrie.

C’est un Galdós moins connu et peut-être mineur, mais cependant solide et prenant.

Pérez Galdós, un génie très méconnu :

Probablement l’écrivain espagnol le plus réputé après Cervantes, le travail de ce génie du XIXe siècle est très méconnu dans l’univers Francophone, et donc très peu traduit. C’est bien dommage car il s’agit d’une œuvre gigantesque de dimensions Balzaciennes, autant par le volume que pour la qualité littéraire : ‘Fortunata et Jacinta’, ‘Miaou’, ‘Miséricorde’, ‘Doña Perfecta’, ‘Trafalgar’ sont seulement quelques romans remarquables parmi une œuvre colossal à tous les niveaux.

Dans la plupart de l’œuvre très prolifique de Pérez Galdós on retrouve une grande perspicacité psychologique qui nous permet de capter, par le biais d’un nombre incalculable de personnages, l’essence de l’humain et les inquiétudes de l’homme (et la femme) espagnol du XIXe siècle. D’un côté la classe moyenne, souvent décrite avec des airs de supériorité vis-à-vis des classes moins favorisées, mais tiraillée par une profonde angoisse de la perte de privilèges, et de la chute social et économique qui menacent toujours à l’horizon. Les classes plus populaires sont travaillés avec de la profondeur et de l’ironie, mais aussi avec tendresse et compassion. Le riche a peur de devenir pauvre, et le pauvre a peur de rester dans la pauvreté. L’utilisation des dialogues souvent vulgarisés, et des tournures de phrases très populaires, aide à comprendre ce côté « voix du peuple » qu’on a souvent associé à Galdós. Son style sobre, directe et épuré, recherchant le naturel au-dessus de tout artifice, n’est pas exempt d’un phrasée créatif et poétique et d’une richesse lexique fabuleuse.

La capacité de travail, la facilité et le talent pour l’écriture de Galdós sont évidentes quand on voit qu’il a écrit plus de 80 romans, environ 30 pièces du théâtre, des incalculables essais et publications, et a dirigé plusieurs magazines spécialisés, en plus de devenir député libéral pendant des nombreuses années. Naturaliste, costumbrista et réaliste à parts égales, Galdós connait très bien l’Espagne et connait aussi très bien la nature humaine. Son travail sur le côté misérable autant que sur le côté lumineux de l’être humain, couplé avec le réalisme de la société représentée, et l’incroyable finesse et diversité de ses personnages féminins, nous permet de situer ce géant de la littérature espagnole quelque part entre Zola et Balzac, et sans doute dans le panthéon des plus grands écrivains européens de la deuxième moitié du XIXe siècle.

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