Littérature des 5 continents : Catalogne (Espagne)Europe

Je chante et la montagne danse

Irene Solà

(Canto jo i la muntanya balla, 2019)
Traduction : Edmond Paillard. Langue d’origine : Catalan
⭐⭐⭐⭐

Ce que raconte ce roman :

L’histoire se déroule aux Pyrénées, dans le compte catalan du Ripollès, entre Prats de Mollo (France) et Camprodon (Catalogne). Le jeune paysan Doménec meurt traversé par un éclair lors d’un violent orage en pleine montagne. Sa femme, Sio, devra élever seule ses enfants, Hilari et Mia. Les vies de cette famille sont entremêlées avec celle des autres habitants de la région mais aussi avec toutes les forces de la nature qui les entourent. Malgré l’époustouflante beauté des lieux, la vie dans ces contrés catalanes est rude et la montagne n’est clémente pour personne.

Récit polyphonique avec la montagne comme personnage principale :

‘Je chante et la montagne danse’, prix de littérature 2020 de l’union européenne, est un livre magnifique, créatif et osé, qui peut-être n’est pas pour tout le monde, mais qui témoigne du talent indiscutable d’une jeune écrivaine totalement à suivre. Ce n’est pas un livre typique et il y a fortes chances qu’il polarise les lecteurs. Génial et original pour les uns, épuisant et prétentieux pour les autres, rarement va être reçu avec indifférence. D’entrée, le plus gros atout de ce livre est sa narration polyphonique : Cette multiplicité des points de vue s’accomplit par l’ajout des différents narrateurs à chaque chapitre. Donc oubliez le résumé que vous avez lu plus haut, la façon d’écrire ce livre est très complexe et recherchée et l’intrigue n’est pas le plus essentiel de la narration.

Soyez sans crainte, dès le départ vous saurez si vous êtes IN ou vous êtes OUT. Le premier chapitre est narré à la première personne du pluriel par des nuages chargées d’eau qui remontent sur la montagne et qui vont déverser toute sa rage sur la région, sous la forme d’un éclair qui va tuer le jeune paysan Doménec. Après ce premier chapitre pour le moins détonant la narration du récit passera d’une main à un autre, parfois des personnes du village mais très souvent des narrateurs surprenants comme des fantômes des gens décédés, un champignon qui pousse, une sorcière pendue jadis, un chevreuil qui vient de naître, un ours qui sort d’hivernation, un chien fidèle mais trop curieux, les montagnes elles-mêmes. Et oui, tous ces ‘personnages’ se lancent à expliquer leur ressenti et sa façon de voir ce qui se passe dans cette contrée du monde, et vont apporter leur grain de sable à la narration.

On rajoute les voix des personnages humains qui participent dans l’histoire. Petit à petit ces petites incartades, ces légendes, ces petites digressions apparemment incongrues, commencent à tisser des liens entre elles, créant un ensemble kaléidoscopique littérairement brillant. Le chevreuil qui nous racontait sa naissance interviendra dans d’autres chapitres. Lune, le chien qui est témoin des amours entre deux personnages, aura un rôle plus secondaire dans d’autres épisodes, et ainsi de suite. Côté humain, on traverse plusieurs générations de la vie des personnages du village, notamment les descendants du paysan Doménec et sa femme Sio.

Le livre n’avance pas vers un dénouement traditionnel et marqué, n’attendez pas qu’à la fin tout s’emboîte. On a vécu un morceau de la vie dans les montagnes et c’est tout. Du coup, ce parti pris fait que ce roman devienne plus un recueil de nouvelles et des légendes reliées entre elles qu’un vrai roman, et par ce fait, soit un peu décousu.

Mis à part cette narration polyphonique, le deuxième plus gros atout du livre est son merveilleux style. Très lyrique et recherché, avec une richesse lexique remarquable, le récit s’approche très souvent de la poésie, en nous proposant une narration très relevée, mais qui garde toujours un étroit contact avec la façon de parler rustre des paysans et des gens simples du quotidien montagnard. J’ai pu profiter de la lecture de ce livre dans sa langue originaire, le catalan, qui m’a complètement envouté par sa beauté exceptionnelle. J’ai lu des très bons échos du travail de traduction française effectué par Edmond Paillard et j’ai l’impression que le charme des mots est quand même préservé dans la traduction.

Plusieurs thèmes complexes se donnent rendez-vous dans cet ouvrage : La mort, le deuil, la dureté de la vie montagnarde, les fantômes et les traumatismes du passé, et les plaies encore ouvertes de la guerre civile espagnole. Mais au-dessus de tout se détache une idée presque spirituelle : La montagne est grandiose et s’en fout bien de la petitesse du monde des humains.


Citation :

« Une fois, je leur ai dit de venir se baigner dans la rivière, qu’il n’y a pas de guerre dans la montagne, que les guerres ont une fin mais que les montagnes n’ont pas de fin, que la montagne est plus ancienne que la guerre, plus sage que la guerre, que si tu es mort, ils ne peuvent pas te tuer une deuxième fois. »

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