(1923)
Langue d’origine : Français
⭐⭐⭐
Ce que raconte ce roman :
Adrien Zograffi se lie d’amitié avec Stavro, un vieil homme d’origine grec qui vit dans la marge. Une nuit lors d’un marché, Stavro tente un rapprochement sexuel vers Adrien. Après la surprise d’Adrien, et les excuses de Stavro, ce dernier commence à s’expliquer : C’est son histoire à lui et à sa sœur Kyra Kyralina qui est racontée, avec tout son lot d’infortunes et tragédies.
Leur enfance est marquée par les apparitions intempestives d’un père violent et un frère ainé cruel et sadique. Kyra et son frère Dragomir (Stavro après), suite à des mésaventures, seront séparés lors de leur fuite : Par la suite, Dragomir devra échapper à des rencontres toxiques qui profitent de lui, tandis que sa sœur sera cloîtrée dans un harem. Dragomir fera tout pour retrouver sa sœur adorée.
Récit pionnier sur l’homosexualité :
Dans ce premier volume de ‘Les récits d’Adrien Zograffi’, la protagoniste n’est pas vraiment Kyra Kyralina, mais plutôt son frère Dragomir (maintenant appelé Stavro). Suite à des abus de la part du père et frère ainé, la famille se disloque, créant un traumatisme dont Dragomir ne s’en remettra jamais. Dans l’ensemble de personnages on trouve différentes langues et nationalités et le récit nous mène dans un périple européen assez varié, d’Istanbul au Liban en passant par la Syrie. Ce mélange de langues et de pays est un des atouts de ce roman.
Le sujet de l’homosexualité, qui n’est jamais mentionné explicitement mais qui est clairement évoqué, est traité d’une façon assez particulière, un peu comme si l’homosexualité était la conséquence des traumatismes de l’enfance (Attention, roman écrit en 1923). Stavro vit son penchant avec un peu de culpabilité, comme si c’était du vice, et n’arrête pas de faire les mauvaises rencontres que le maltraitent et profitent de lui sexuellement, quand cela ne vire pas clairement au sadisme (Tout cela est suggéré bien sûr, mais c’est bien présent). À l’époque c’était sans doute osé et surprenant, surtout que cela ne semble pas trop perturber les personnages de son entourage, c’est vite accepté, et le livre nous offre un portrait plutôt très bienveillant de son héro étrange.
Ce personnage de Stavro, mi-ange, mi-voyou, est l’âme du roman. Avec ses lumières et ses ombres, son coté douce et son coté louche, Stavro est une énigme. Sa vie et ses mésaventures sont émouvantes et drôles au même temps. Malgré une certaine simplicité et manque de développement, l’histoire est touchante et se lit facilement. Un court roman assez déconcertant dans lequel il faut souligner un profond coté humaniste, une vision très ouverte d’esprit qui nous parle de la différence, des exclus, et de ceux qui vivent à l’écart de la société.
Après mille errances européennes (un peu comme son personnage), et un séjour à Nice, Istrati se trouvait à Paris, où il écrivit celui-ci, son premier roman. Fasciné par la figure de Romain Rolland, qui considérait son mentor, Istrati écrivit ce livre en français, sa deuxième langue, qu’il avait appris en autodidacte. Finalement, c’est Rolland lui-même qui l’aidera à publier son œuvre.
Citations :
« Petit enfant, je me rappelle la dureté d’un père qui battait la mère, tous les jours, sans que je comprisse pourquoi. Ma mère manquait souvent à la maison, revenait et était battue, avant le départ et après l’arrivée. Je ne savais pas si on la maltraitait au départ pour la faire partir ou pour la retenir, ni, à l’arrivée, si c’était à cause de son absence ou pour qu’elle ne revînt plus. »
« J’acceptai la tasse de salep, mais je ne savais plus que croire. Quelle règle, quelle compréhension fallait-il tirer de ma courte expérience, quand tant d’hommes, qui avaient commencé par se montrer bons et généreux, avaient fini par devenir bas et criminels ? Oui, à seize ans, je connaissais cette bassesse de l’âme humaine. Et je ne savais pas tout. »
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