Littérature des 5 continents : AllemagneEuropeRoumanie

La bascule du souffle

Herta Müller*

(Atemschaukel, 2009)
Traduction : Claire de Oliveira. Langue d’origine : Allemand
⭐⭐

Ce que raconte ce roman :

Roumanie, 1945. Léopold, un jeune de la communauté allemande de Transylvanie, vit son homosexualité cachée comme un tourment. Il souhaite partir ailleurs. Il se pliera, presque volontairement, à la déportation à l’union soviétique, à peine conscient de l’effroyable réalité qui l’attend. Son quotidien dans un camp de travail, dans des conditions épouvantables et pendant les suivants cinq ans, sera décrit avec tous les détails.

L’ange de la faim :

Léopold est un narrateur très peu émotionnel, et ça s’est une des premières choses qui frappe de ce roman. Dès qu’on arrive au camp, le récit devient froid, factuel, sans jugements ni arrière pensés. Presque parfois ce quotidien horrible semble idéalisé, du peu qu’il est critiqué. Comme si le narrateur ne voudrait pas s’impliquer émotionnellement dans ce qui lui arrive, pour se protéger, pour se détacher. Pour l’empêcher de sombrer.

Parce que malgré ce récit factuel, ce qui lui arrive est bien épouvantable et glaçant. La faim, le froid, la fatigue, les poux, la crasse… Tout cohabite avec le travail pénible du ciment, du charbon, des briques et de la chaux. Seul repas, un peu de pain et la soupe au chou deux fois par jour. Pour humaniser la vie, la seule ressource qui lui reste à Léopold est de s’effacer comme individu. Petit à petit, dans une effroyable transformation métaphorique, les objets commencent à avoir de la personnalité humaine. Le ciment, la pelle, la chaux, les arbres, le pain, tout communique et transmet plus d’émotions que l’humain lui-même. Présidant tous ses personnages-objets, l’ange de la faim, premier personnage du livre, décrète sa loi sans pitié en maître absolu des lieux.

Cette narration sèche de Herta Muller, peut sembler déroutante, surtout quand on compare à d’autres épopées de la souffrance comme ‘La faim’ de Hampsun. J’ai mis une bonne moitié de ce livre à comprendre la finesse de sa mise en scène, dépourvue de tout pathos. Il y a peu d’action, parfois c’est long et il y a certaines redondances, mais c’est un livre fort qui incommode et nous met face à la réalité de la nature humaine.


Citation :

« C’est que moi, je tente toujours de me persuader que je n’ai guère de sentiments. Si je prends une chose à cœur, elle ne m’affecte pas outre mesure. Je ne pleure presque jamais. Loin d’être plus fort que les larmoyants, je suis plus faible qu’eux. Ils ont de l’audace, eux. Quand on n’a que la peau sur les os, c’est courageux d’avoir des sentiments. »

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