(Jozova Hanule, 2002)
Traduction : Eurydice Antolin, Hana Aubry. Langue d’origine : Tchèque
⭐⭐⭐⭐
Ce que raconte ce roman :
Brno, Tchécoslovaquie, sous l’occupation allemande dans la deuxième guerre mondiale. Eliska, une jeune femme qui exerce la médecine, entretient une liaison avec son chef de service à l’hôpital, Richard, un homme marié. De façon clandestine, elle travaille pour Richard dans la livraison de courrier entre membres de la résistance. Sauf que la montée du nazisme complique tout, Richard prend la fuite, et Eliska doit aussi s’en fuir de la Gestapo et prendre une nouvelle identité, effaçant toute trace de son passé.
Elle abandonne donc carrière, amis, amant et promesses de futur, pour se marier avec Joza, un de ses anciens patients à l’hôpital, homme rustre et peu cultivé, gentil mais un peu le simplet du village. Dépitée, Eliska sera projetée dans une maison perdue dans les montagnes de Moravie, isolée parmi la nature sauvage. Pas faite pour cette univers campagnard, Eliska regrette sa vie citadine et le prestige que lui donnait son métier de médecin. Dans ces montagnes enclavées elle sera simplement la femme de Joza.
La belle et la bête en Tchécoslovaquie :
Très court roman qui se lit très facilement par son sujet simple et clair, ses personnages secondaires hauts-en-couleur et surtout par la tendresse de l’histoire d’amour, notamment inspirée de ‘La belle et la bête’ (comme le titre français indique). Eliska est jeune, belle, citadine, frivole, intelligente, tandis que Joza est présenté comme un homme simple, sérieux, très impressionnant physiquement et plutôt pas beau.
Mais Joza a des charmes cachés, qui viennent de la simplicité et honnêteté de sa vie, plus près de la nature et des saisons, plus authentique. En fort contraste avec la vanité qui avait géré ses relations auparavant, Eliska vivra un arc narratif simple, de découverte progressive de ces nouvelles valeurs, plus sains et sereins. Joza, dès le début amoureux d’elle, même si on comprend cela que à demi-mots, trouve en elle pas sa beauté, mais plutôt quelqu’un qu’il respecte, et même qu’il voit comme supérieur et plus intelligent, vu que c’est elle qui l’avait remis sur pied lors de son passage à l’hôpital après un accident. C’est celui-là le sujet du livre, le vrai amour, celui qui est au-delà des apparences, de l’argent et du physique.
Dans ce village peuplé d’hommes primitifs et de femmes résignées, et dans cette maison-prison au confort spartiate, Eliska réfléchira à la première personne (le livre est une sorte de long monologue) sur ce qu’elle a perdu, pour comprendre petit à petit ce qu’elle a plutôt gagné (« la différence essentielle résidait bien dans le fait que là-bas, j’eusse été heureuse en tant que vainqueur, alors qu’ici je l’étais en tant que vaincue. »). Legátová, cependant, se garde bien de nous montrer un portrait idyllique de la campagne : La plus part de paysans seront doubles et traitres, un peu comme dans la ville qu’elle a fuie, mais c’est justement en comparant ces contrastes qu’elle trouvera les qualités de son mari Joza.
Beaucoup des personnages extravagants peuplent ce récit, habitants des montagnes de tous bords qui fascineront le lecteur (Lucka la guérisseuse sera sans doute la favorite de beaucoup). Mais ce qui brille au-dessus de tout est le contraste entre ce couple à qui tout oppose. Leur magnifique histoire d’amour, pleine de simplicité, tendresse et découverte de l’autre, dans ce havre de paix à l’écart du monde, à l’abri de la montée du nazisme, est sans doute la clé du roman.
Legátová fut institutrice dans un village campagnard de Moravie pendant la plupart de sa vie, ce qui fait que ses portraits montagnards et leurs vies simples font cible par sa vérisimilitude et authenticité. Elle écrivit quelques nouvelles et romans pour jeunesse dans les années 60, mais ce n’est que dans les années 2000, à plus de 80 ans, qu’elle se consacra vraiment à la littérature. Son roman ‘Ceux de Zélary’ (2001) eut un succès considérable, et pareil pour ‘La belle de Joza’ l’année suivante (2002). Ces deux romans furent portés au cinéma en 2003 dans le film ‘Zélary’, réalisé par Ondřej Trojan et nommé à l’Oscar au meilleur film en langue étrangère.
Avec 83 ans au moment de la publication du ‘La belle de Joza’, la tendre vision de l’amour qui transmet Legátová dans ce roman, nous laisse quelque chose de juvénile et d’intemporel. Une belle surprise.
Citation :
« “Amour” est le mot le plus mal considéré du vocabulaire. On peut presque tout nommer ainsi. Toutes les convoitises, les habitudes égoïstes, l’envie, et même la haine et l’arrogance.
Ma relation à Joza méritait un examen.
Elle était indicible. Du moins, elle n’était pas simple. C’était de l’amitié, de la tendresse, de la compassion, mais aussi de l’angoisse et du désespoir.
Tout cela formant une soudure infrangible. »
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