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La de Bringas

Benito Pérez Galdós

(La de Bringas, 1884)
Traduction : Pas connue.   . Langue d’origine : Espagnol
⭐⭐⭐⭐⭐

Ce que raconte ce roman :

Rosalía Pipaón, connue comme ‘La de Bringas’, a assouvit ses rêves et vit finalement au Palais royal, car son mari Francisco de Bringas, connu comme Thiers, travaille dans les services bureaucratiques de la Reine Isabel II. Pour maintenir sa nouvelle position, classe et distinction sociale, Rosalía entame toute une série de dépenses qui la font vivre bien au-dessus de ses moyens. L’apparence de richesse doit se maintenir quoi qu’il en coute, même si cela doit mettre la famille au bord du gouffre financier.

Paraître quoi qu’il en coute :

Ce roman à vocation très réaliste, probablement le plus Balzacien des romans de Galdós, se développe sur un arrière-plan de différence de classes. Le sujet est clairement la vanité et l’ambition de maintenir à tout prix la position sociale. Ce prix mènera la femme à un dilemme constant et impossible, comme c’est l’habitude des femmes Galdosiennes, et mettra en jeux la propre dignité de Rosalía.

Rosalía Pipaón, ‘La de Bringas’, incarne cette nouvelle bourgeoisie obsédée de se revêtir d’un manteau aristocratique pour cacher la misère de ses origines, disposée à sacrifier toute étique et moralité dans l’autel du paraître. Endettée jusqu’à l’extrême, condamnée à s’endetter davantage pour payer ses dettes, la situation de Rosalía s’approche de celles de milliers de ménages de nos jours qui ont souffert le drame des crédits revolving,

Le décor du Palais Royal avec ses multiples chambres, couloirs, espaces et subdivisions fait de ce bâtiment un personnage à part entière, une métaphore de la société espagnole de l’époque, un écosystème complexe où on trouve représentée tous les types humains, avec ses rêves, ses ambitions et surtout, toutes ses misères.

‘La de Bringas’ clôt une petite trilogie non officielle, initiée avec ‘El doctor Centeno’ et suivie par ‘Tormento’, les deux romans précédents de Galdós. Les trois romans sont indépendants mais cela peut être intéressant de les lire dans l’ordre.

Pérez Galdós, un génie très méconnu :

Probablement l’écrivain espagnol le plus réputé après Cervantes, le travail de ce génie du XIXe siècle est très méconnu dans l’univers Francophone, et donc très peu traduit. C’est bien dommage car il s’agit d’une œuvre gigantesque de dimensions Balzaciennes, autant par le volume que pour la qualité littéraire : ‘Fortunata et Jacinta’, ‘Miaou’, ‘Miséricorde’, ‘Doña Perfecta’, ‘Trafalgar’ sont seulement quelques romans remarquables parmi une œuvre colossal à tous les niveaux.

Dans la plupart de l’œuvre très prolifique de Pérez Galdós on retrouve une grande perspicacité psychologique qui nous permet de capter, par le biais d’un nombre incalculable de personnages, l’essence de l’humain et les inquiétudes de l’homme (et la femme) espagnol du XIXe siècle. D’un côté la classe moyenne, souvent décrite avec des airs de supériorité vis-à-vis des classes moins favorisées, mais tiraillée par une profonde angoisse de la perte de privilèges, et de la chute social et économique qui menacent toujours à l’horizon. Les classes plus populaires sont travaillés avec de la profondeur et de l’ironie, mais aussi avec tendresse et compassion. Le riche a peur de devenir pauvre, et le pauvre a peur de rester dans la pauvreté. L’utilisation des dialogues souvent vulgarisés, et des tournures de phrases très populaires, aide à comprendre ce côté « voix du peuple » qu’on a souvent associé à Galdós. Son style sobre, directe et épuré, recherchant le naturel au-dessus de tout artifice, n’est pas exempt d’un phrasée créatif et poétique et d’une richesse lexique fabuleuse.

La capacité de travail, la facilité et le talent pour l’écriture de Galdós sont évidentes quand on voit qu’il a écrit plus de 80 romans, environ 30 pièces du théâtre, des incalculables essais et publications, et a dirigé plusieurs magazines spécialisés, en plus de devenir député libéral pendant des nombreuses années. Naturaliste, costumbrista et réaliste à parts égales, Galdós connait très bien l’Espagne et connait aussi très bien la nature humaine. Son travail sur le côté misérable autant que sur le côté lumineux de l’être humain, couplé avec le réalisme de la société représentée, et l’incroyable finesse et diversité de ses personnages féminins, nous permet de situer ce géant de la littérature espagnole quelque part entre Zola et Balzac, et sans doute dans le panthéon des plus grands écrivains européens de la deuxième moitié du XIXe siècle.

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