(La desheredada, 1881)
Traduction : Daniel Gautier. . Langue d’origine : Espagnol
⭐⭐⭐⭐
Ce que raconte ce roman :
Le roman narre les aventures d’Isidora, la déshéritée, une belle jeune femme qui arrive à Madrid, remplie d’illusions et prête à réussir en société. Isadora se persuade de ses origines nobles, et essaie d’en convaincre son entourage. Mais Isadora ira de déception en déception, propitiant la chute de sa réputation.
Étude de mœurs :
‘La déshéritée’ est le premier roman de ce que Galdós qualifia de ‘Romans espagnols contemporains’, qui nous approchent l’œuvre du géant espagnol de celle de Balzac, par son étude de mœurs de toute les classes sociales de l’Espagne de la deuxième moitié du XIXe siècle.
Le roman présente comme à protagoniste une anti-héroïne, Isadora, décrite avec autant ses vertus comme ses nombreuses faiblesses. L’imposture d’Isadora, qui se voit comme héritière d’un marquis, est traitée d’un point de vue pathétique, presque tragique (voir citation), car celle qui veut escroquer les autres finira escroquée elle-même. C’est dans cette approche que le lecteur se rangera du côté d’Isadora dans sa quête de rédemption.
Victime de sa propre ambition, la chute d’Isadora pourrait être vue comme un avertissement, mais la sensibilité de Galdós permet de traiter le sujet avec finesse et subtilité, et aller au-delà de la mise en garde moralisante. Ce roman introduit le personnage du Docteur Miquis, ami d’Isadora, qui essaie héroïquement de la prévenir des conséquences de ses décisions. On retrouvera ce personnage calme et humaniste, à la façon de Balzac et sa ‘comédie humaine’, dans d’autres romans du cycle des romans contemporains.
Pérez Galdós, un génie très méconnu :
Probablement l’écrivain espagnol le plus réputé après Cervantes, le travail de ce génie du XIXe siècle est très méconnu dans l’univers Francophone, et donc très peu traduit. C’est bien dommage car il s’agit d’une œuvre gigantesque de dimensions Balzaciennes, autant par le volume que pour la qualité littéraire : ‘Fortunata et Jacinta’, ‘Miaou’, ‘Miséricorde’, ‘Doña Perfecta’, ‘Trafalgar’ sont seulement quelques romans remarquables parmi une œuvre colossal à tous les niveaux.
Dans la plupart de l’œuvre très prolifique de Pérez Galdós on retrouve une grande perspicacité psychologique qui nous permet de capter, par le biais d’un nombre incalculable de personnages, l’essence de l’humain et les inquiétudes de l’homme (et la femme) espagnol du XIXe siècle. D’un côté la classe moyenne, souvent décrite avec des airs de supériorité vis-à-vis des classes moins favorisées, mais tiraillée par une profonde angoisse de la perte de privilèges, et de la chute social et économique qui menacent toujours à l’horizon. Les classes plus populaires sont travaillés avec de la profondeur et de l’ironie, mais aussi avec tendresse et compassion. Le riche a peur de devenir pauvre, et le pauvre a peur de rester dans la pauvreté. L’utilisation des dialogues souvent vulgarisés, et des tournures de phrases très populaires, aide à comprendre ce côté « voix du peuple » qu’on a souvent associé à Galdós. Son style sobre, directe et épuré, recherchant le naturel au-dessus de tout artifice, n’est pas exempt d’un phrasée créatif et poétique et d’une richesse lexique fabuleuse.
La capacité de travail, la facilité et le talent pour l’écriture de Galdós sont évidentes quand on voit qu’il a écrit plus de 80 romans, environ 30 pièces du théâtre, des incalculables essais et publications, et a dirigé plusieurs magazines spécialisés, en plus de devenir député libéral pendant des nombreuses années. Naturaliste, costumbrista et réaliste à parts égales, Galdós connait très bien l’Espagne et connait aussi très bien la nature humaine. Son travail sur le côté misérable autant que sur le côté lumineux de l’être humain, couplé avec le réalisme de la société représentée, et l’incroyable finesse et diversité de ses personnages féminins, nous permet de situer ce géant de la littérature espagnole quelque part entre Zola et Balzac, et sans doute dans le panthéon des plus grands écrivains européens de la deuxième moitié du XIXe siècle.
Citation :
« Soy noble, soy noble. No me quitaréis mi nobleza, porque es mi esencia y yo no puedo ser sin ella. » (“Je suis noble, je suis noble. Vous ne m’enlèverez pas ma noblesse, parce qu’elle est mon essence et sans elle je ne peux pas être”. Traduction improvisée)
0 Comments