(Drömfakulteten, 2009)
Traduction : Jean-Baptiste Coursaud. Langue d’origine : Suédois
⭐⭐⭐⭐
Ce que raconte ce roman :
Le roman retrace la vie de Valérie Solanas alternant son enfance traumatisante avec la narration de ses derniers jours dans un asile psychiatrique, marqué par des viols et abus. Le récit retrace en avant et en arrière une vie complexe, qui atteindra la célébrité internationale lorsqu’elle essayera d’assassiner le peintre Andy Warhol, en 1968.
Récit fragmentaire d’une vie complexe :
‘La faculté des rêves’ est un magnifique roman, mais sans doute pas pour tout le monde. Car le parti-pris de Sara Stridsberg est de souligner la complexité de la vie de Valérie Solanas par un récit fragmentaire, totalement éclaté, dur, difficile à suivre, qui épouse totalement le caractère volatile et insaisissable de notre protagoniste. Stridsberg elle-même nous met en garde dans le préambule : Ce n’est pas une biographie mais plutôt une fantaisie littéraire. De la vie de Valérie Solanas elle n’a pris que quelques repères pour inventer de toute pièces un personnage à la hauteur des bizarreries, des drames et des extravagances qui ont toujours entourée Mme Solanas.
Le style est donc incroyablement éclectique, beaucoup des chapitres prennent la formule des dialogues théâtrales, dans d’autres la narratrice se dédouble dans la tête de la protagoniste, dans d’autres on trouve des comptes rendus de son passage en détention ou en asile psychiatrique, dans d’autres la narration suit une formule à la troisième personne plus classique, dans d’autres des professeurs de la faculté de psychologie essayent de comprendre l’étrange façon de penser le monde de Mme Solanas.
Malgré cet ensemble apparemment décousu, la narration avance d’une façon étonnamment bien organisée, dans deux directions : Dès sa naissance en avant et dès sa mort en arrière. Les deux récits s’entremêlent, se confondent, se désagrègent, mais convergent d’une façon soutenue jusqu’à arriver au moment charnière de la narration : l’essai d’assassinat de Andy Warhol. Évoqué en permanence dans le récit, ce moment clé et centrale de la vie de Valérie Solanas ne sera pas vraiment abordé que vers la dernière partie du livre. ‘La faculté de rêves’ a donc une structure solide et complexe mais très subtile, chaotique seulement en apparence.
Valérie Solanas vit une enfance très difficile, abusé par son père et soumise à une mère qui passe d’un homme à un autre sans vraiment s’occuper d’elle. Valérie vivra une existence très difficile, marquée à jamais par les viols, les abus, la mendicité, les drogues, la prostitution, et d’autres expériences traumatiques. Elle réussira contre toute attente à faire des études universitaires de Psychologie, et fréquentera le milieu intellectuel et artistique de New York. Elle écrira le Scum manifesto, un essai ultra féministe radical prônant rien que l’extermination du genre masculin. Devenue célèbre depuis l’essai d’assassinat de l’artiste Andy Warhol en 1968, Valérie Solanas sombre progressivement à nouveau dans l’enfer des drogues et de la marginalité.
Le personnage est déjà très intéressant en soi, pas seulement comme la femme qui a essayé de tuer Warhol, mais aussi comme une icône du féminisme version extrême qui sans doute influença le mouvement dans son versant plus radicale à partir des années 60, quand la notoriété acquise par cette tentative d’assassinat lui permettra de mettre en avant son manifeste féministe. Elle revendiquera toujours l’intention de tuer Warhol, exprimant par seul regret le fait d’y avoir échoué.
Malgré la complexité éclectique du style, le livre peut se lire avec une certaine facilité si le lecteur est prêt à faire des efforts. Mais c’est possible que la confusion du récit ait raison du lecteur pas averti et il y a fortes chances qu’il décroche très vite. J’avoue que j’ai mis du temps à rentrer dans le roman et comprendre la logique implacable de son désordre. Quelques chapitres, une dans chacun des parties, proposent une espèce d’abécédaire délirant dans lesquels plusieurs paragraphes exposés en ordre alphabétique exposent des pensés et des sentiments, peut-être de Solanas, peut-être de la narratrice elle-même, peut-être on ne sait pas, je n’ai pas réussi à saisir. C’est les seuls moments où j’ai trouvé que le roman dérivait trop. Mis à part ces courts chapitres déroutants (de mémoire six en totale), le reste du livre compose une œuvre unique, décharnée et rageusement originale.
Citation :
« Y a franchement pas de quoi pleurer. Tous les pères veulent baiser leurs filles. C’est ce que font la plupart des pères de toute façon. Seule une petite minorité s’en prive sans qu’on sache tout à fait pourquoi. J’ai été baisé par l’Amérique. Ce n’est pas la mer à boire mais c’est l’enfer sur terre. Ce monde demeure et demeurera un seul et même désir régressif. »
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