(Svar við bréfi Helgu, 2010)
Traduction : Catherine Eyjólfson. Langue d’origine : Islandais
⭐⭐⭐
Ce que raconte ce roman :
Bjorni, un vieux nonagénaire à qui ne lui reste pas trop longtemps à vivre, dévoile tous ses sentiments le plus intimes, enfouis dans son cœur pendant des décennies, dans une longue lettre adressée à Helga, l’amour de sa vie. À travers les mots de cet éleveur de moutons du nord de l’Islande, on reconstruit un passé plein de regrets et sacrifices, et il explique son choix du devoir au-dessus de l’amour. Prisonnier dans un mariage sans tendresse avec une épouse stérile, Bjorni n’a pas su saisir les opportunités que la vie lui a donné de vivre pleinement l’amour.
L’éphémère temps des amours et l’interminable temps des regrets :
Ce roman épistolaire retrouve une structure similaire à ‘Lettre d’une inconnue’ de Stefan Zweig, ou le narrateur/narratrice déclare sa flamme par écrit, tout en expliquant point par point les raisons de l’impossibilité de cet amour. Mais si bien dans la lettre de Zweig l’amour était unilatérale, dans ‘La lettre d’Helga’, le gâchis est plus complexe, car Bjorni et Helga sont tous les deux mariés, et la femme de Bjorni a subi une intervention chirurgicale qui l’a laissé mutilée et incapable d’avoir des relations intimes.
C’est simple, beau, dur, cru, et bien écrit, mais il vaudrait mieux ne pas s’attendre à trouver cet amour romantique qui est vendu dans certaines critiques de ce roman. À lire Bjorni, cet amour est plutôt une passion charnelle qui a été assouvie seulement pendant un très bref période de temps et de façon clandestine. De lors, Bjorni vit dévoré par le désir, et il souffre d’avoir comme voisine dans la colline d’à côté la femme la plus désirable qu’elle soit. Presque la totalité des phrases dédiées à Helga (cela fait des pages !) sont centrées sur les attributs physiques et la sensualité de la belle fermière. Le pauvre Bjorni se morfond dans ce désir de la chair, et laisse peu de place à l’expression de sentiments plus profonds.
Avertissement : Âmes sensibles seront prévenues, le roman montre le désir d’une façon assez débridée et scatologique, même avec des parfums urinaires comme à éléments déclencheurs de la passion. Personnellement j’ai trouvé cela juste. C’est assez réaliste pour ce personnage et cette ambiance, mais sans doute les lecteurs qui voudraient un amour plus pur seront déçus. Il y a aussi des séquences un peu osées que je ne dévoilerai pas, soyez prévenus.
Bref, plutôt que la romance impossible, le sujet du roman semble être la torture du désir inassouvi. Car en réalité l’amour semble possible à plusieurs moments du roman, mais toujours une barrière empêche cet amour de se concrétiser. Est Bjorni vraiment prêt pour une vie à deux avec Helga ? Ou préférerait-il quelques frissons ici et là, tant qu’il puisse garder son confort et ses moutons ? C’est cela le grand amour de sa vie ou c’est plutôt la grande passion ? Tel est le dilemme jamais dit par cet homme, et c’est justement là où le lecteur pas averti peu avoir du mal à saisir cette histoire d’amour atypique.
Le décor est grandiose. Les digressions de Bjorni nos mènent dans un voyage vers ces landes sauvages du nord de l’Islande, parmi des vastes extensions, de la neige et des moutons. C’est un chant d’amour à la nature et au mode de vie traditionnel dans la campagne au gré des saisons. En plus de regretter son passé, Bjorni critique systématiquement la société citadine moderne et tout ce qui se rapproche de près ou de loin du progrès. L’idée que le passé est meilleur que le présent, ne trouve aucun écho ni direct ni indirect qui la contredise. À mon sens le volet sociologique du roman est un peu trop unidimensionnel et moins fin que celui dédié à la passion.
C’est un très beau et court roman qui se lit très facilement, qui dépayse énormément, et qui, tant qu’on ne s’attend pas à un amour romantique ‘classique’, peut émouvoir le lecteur par la mélancolie qui se dégage de l’expression des regrets de ce pauvre homme rustre au crépuscule de sa vie. A l’heure du bilan final, Bjorni réalise qu’il a peut-être fait le mauvais choix préférant renoncer aux complications de l’amour et du progrès pour rester attaché à la terre et à la tradition. Aurait-il pu faire autrement ?
Citation :
« Pourquoi, bon Dieu, désire-t-on une autre femme que la sienne, toute sa vie, sans pour autant faire le geste qui unirait la vie à son aspiration ? »
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