(Сестрата на Зигмунд Фројд, 2009)
Traduction : Arthur Wybrands, Harita Wybrands. Langue d’origine : Macédonien
⭐⭐⭐
Ce que raconte ce roman :
Adolfina est une des sœurs de Sigmund Freud, celle qui est le plus attachée à lui, et cependant le grand psychanalyste juif n’a pas considéré opportun de l’inclure, ni elle ni aucune de ses autres sœurs, dans la liste de personnes qui devraient l’accompagner dans son exil à Londres en 1938, lorsque l’Autriche est sur le point d’être envahie par l’Allemagne nazi. Pourtant la liste de Freud va inclure sa femme, ses enfants, sa belle-sœur, son médecin personnel et même son chien.
Les souvenirs d’Adolfina reviennent en arrière, et retracent une vie morne et grise marqué par la solitude et la tristesse. La fin de la relation fusionnelle que le liait à son frère Sigmund lorsque celui-ci arrive à l’âge adulte, la non communication, l’humiliation et la haine constantes qui reçoit de sa mère, l’abandon de son petit ami, son séjour en hôpital psychiatrique… La douce Adolfina semble vouée à la mélancolie et sombre dans un état proche de la folie.
Comment Freud a tout raté en psychanalysant sa sœur :
Tout d’abord, et c’est un point très important, la traduction française trahit un peu l’esprit du livre. Le titre original, ‘La sœur de Freud’, présente clairement l’idée d’une femme à l’ombre du géant de la psychanalyse, mais la traduction française semble avancer une fiction centrée dans Freud lui-même, ce qui provoque clairement la déception chez certains lecteurs qui voient comment la lumière se fait sur un personnage qui croient secondaire. Peut-être aussi les éditeurs voulaient faire le lien avec le film de Spielberg ‘La liste de Schindler’ qui parlait aussi de la montée du nazisme ? Dommage. Dans tous les cas, il faudrait se plaindre à l’éditeur français et non pas à Smilevski. Parce que justement c’est une œuvre plutôt féministe qui fait un portrait dévastateur d’une femme dévouée à son frère et qui, en échange de ce dévouement, n’obtient rien.
C’est un très beau roman qui, mis à part la bévue de la traduction du titre, a eu d’autres soucis pour connecter avec certains lecteurs. Smilevski présente une fiction, une espèce de ‘What if’, basée sur des personnages réels, mais qui n’a à aucun moment la volonté de devenir des mémoires fidèles de Freud et sa famille. La fameuse liste de Freud est un mystère historique sur lequel on sait peu. Le consensus semble indiquer que les sœurs de Freud, assez âgées à l’époque de l’anschluss, préférèrent rester à Vienne et elles-mêmes refusèrent l’exil, ce qui les condamna à la déportation et la mort. Puisqu’on n’en sait rien de sûr, Smilevsi propose une fiction à partir d’un Freud qui leur refuse l’exil par des raisons absurdes, selon lui la menace ne serait pas réelle et le nazisme serait bientôt fini. Homme peu sensible et froid, le portrait de Freud est accablant, et c’est peut-être cela qui lui sera reproché au livre, plutôt que ses qualités littéraires. C’est dommage car le roman assume complètement ce ‘what if’ et propose un travail littéraire très intéressant tout en s’éloignant de la biographie à volonté réaliste.
Le roman présente une certaine vulgarisation des théories de la psychanalyse, que personnellement j’ai trouvé cohérente avec l’esprit du livre, mais qu’encore une fois, n’a pas la prétention d’un travail scientifique sur le sujet. Le récit trace en permanence des parallèles entre les théories de Freud, et à quel point celles-ci peuvent être éloignées de la réalité, le plaçant totalement à côté de la plaque, aveugle aux troubles existentielles de sa sœur. Car Adolfina est systématiquement brutalisée par une mère odieuse au point qu’elle préférera l’asile psychiatrique à la cohabitation avec elle. Sans le ridiculiser non plus, Freud rate presque systématiquement toutes ses analyses, et passe plutôt pour un homme de son époque, piètre connaisseur des subtilités de l’âme féminine, et en général peu préoccupé par leur condition.
La plupart des sujets du livre sont en lien avec les troubles de la santé mentale des femmes et leur analyse. La sœur de Freud est un être complexe et singulier, dont l’angoisse existentielle la précipite vers le rivage de la ‘normalité’, à deux pas de la névrose. Cette frontière assez perméable entre la mélancolie et la folie, est décortiquée dans cet ouvrage à travers des stades d’Adolfina en hôpital psychiatrique, accompagnant son amie Clara Klimt, sœur du peintre Gustav et combattante pour les droits et l’émancipation des femmes. Clara est à nouveau une femme qui vit dans l’ombre d’un frère connu et réputé, mais comme Freud, peu intéressé à la condition féminine.
C’est un roman intéressant et bien narré, porté par une belle structure en flashback, qui malgré quelques licences avec les faits historiques nous présente un portrait des débuts de la psychanalyse, en lien à l’évolution des mœurs de la société, notamment vis à vis de la condition féminine.
Citations :
« (…) les jeunes gens, ceux de ma connaissance, s’imaginent le mariage comme la réalisation du paradis sur terre, jusqu’au jour où la banalité de la vie quotidienne viendra les dégriser. Car toute attente plus grande que la réalité se termine par une catastrophe, et tout amour plus important que l’être aimé retombe dans la trivialité. »
« On dit que ceux qui laissent quelqu’un derrière eux ont plus de mal à quitter ce monde, car la mort sépare la vie que l’on a reçue de celle que l’on a donnée. »
0 Comments