(2005)
Langue d’origine : Français
⭐⭐⭐⭐
Ce que raconte ce roman :
Le narrateur, Clyde Tolson, compagnon et adjoint de Edgar Hoover au FBI, nous a laissé un manuscrit, une sorte de biographie de celui qui fut le chef du FBI pendant presque cinquante ans, sous le mandat de plusieurs présidents des États-Unis, des Kennedy à Nixon.
Paradoxes au sommet du FBI :
Avec l’excuse qu’il peut s’agir d’un faux document (« La prétendue objectivité d’un mémorialiste est aussi nuisible à la vérité que l’intention de falsifier les faits »), Dugain profite pour en faire le portrait romancé d’une vie incroyable. Avec des faits avérés et avec quelques doses d’interprétation libre, le résultat est étonnant autant par sa vérisimilitude comme par sa qualité littéraire.
Hoover est une des personnes les plus puissantes du monde depuis son poste pérenne au sommet du FBI, très conservateur et gardian de la morale traditionnelle, travailleur infatigable et dévot, il éliminera tout ce qui s’approchait de près ou de loin au communisme et n’hésitera pas à violer la vie privée des gens, les mettre sur écoute, ternir la réputation des gens puissants, ou directement écarter du pouvoir quelqu’un qui dérange, pour une raison ou une autre. Aucune barrière ne restera sans franchir tant que le but de le conserver au pouvoir ne soit pas atteint. Bien déguisé en forme de dévotion à son pays, sa soif de pouvoir ne connait pas des limites.
À travers les décennies, les évènements qui ont secoué l’Amérique s’entremêlent dans le récit : L’assassinat d’un Kennedy, puis l’autre, puis celui de Martin Luther King, la croisade anti-communiste, la montée de la mafia (en partie grâce à lui, selon le roman) et bien sûr, chacune des élections présidentielles, qui le mettra à l’épreuve sans jamais arriver à le déboulonner. Effectivement, il avait dans son pouvoir ces légendaires dossiers, pouvaient aisément faire chuter la réputation d’une personne, même un président, s’il ne se pliait à sa conception de l’exercice du pouvoir.
Convaincu qu’il a une mission, qu’il est légitime pour faire et défaire les lois à sa guise, il n’hésitera pas à critiquer chacun des présidents pour lesquels a travaillé, sans jamais se voir inférieur ou redevable, mais plutôt au-dessus des lois. Loyal seulement à son poste de pouvoir et à son idée du pays, jamais à ses supérieurs élus démocratiquement, il méprise la démocratie et ses résultats improbables, aléatoires et trop faciles à manipuler.
En parallèle, ce personnage étrange et obscur vit une double vie avec son couple homosexuel, Clyde. C’est absolument incroyable étant donné l’auréole de morale conservatrice ouvertement anti-gay du personnage. Le parti-pris de Dugain est fantastique, en cédant la parole au compagnon de Hoover, ce qui permet constamment de trouver ce contraste entre ce qui est prêché et ce qui est pratiqué. Ce paradoxe est la clé du livre.
Dugain maîtrise son sujet avec une aisance étonnante. Très documenté et vraisemblable, avec un souci stupéfiant de la exactitude, nous trace un portrait psychologique très profond de ce personnage unique et contradictoire, dans ce qui est un de ses meilleurs romans.
Citation :
« L’électeur nous laissera toujours le sale boulot. Il sait bien que là-haut les choses ne sont pas si claires. Mais il ne sait pas toujours à quel point. Quand il le découvre, il fait mine de s’en offusquer. Mais tant qu’il est devant son téléviseur avec une bière bon marché et qu’il y a de l’essence dans le réservoir de sa voiture, il est plutôt satisfait que d’autres fassent le sale boulot à sa place. Il est comme tout le monde, pris entre le rêve et la réalité. »
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