(Чернобыльская молитва, 1997)
Traduction : Galia Ackerman, Pierre Lorrain. Langue d’origine : Russe
⭐⭐
Ce que raconte ce recueil de témoignages :
Essai sur la catastrophe nucléaire de Tchernobyl, survenue en 1986, dans territoire ukrainien, très près de la frontière biélorusse, alors les deux pays appartenant à l’Union Soviétique. Alexievitch cède la parole aux survivants en compilant un grand nombre de témoignages, enregistrés pendant les dix années postérieures à la catastrophe, tous reliés en quelque sorte à l’évènement : Des liquidateurs, scientifiques, pompiers, militaires, politiciens, leurs conjoints, et des centaines d’habitants des villages de la région, nous livrent sa vision de l’évènement et ses conséquences dramatiques pour la société et pour eux-mêmes.
La dimension humaine de la tragédie :
Tchernobyl est la plus grave catastrophe nucléaire du XXe siècle. L’accident est provoqué par l’augmentation incontrôlée de la puissance du réacteur no 4, conduisant à la fusion du cœur. Cela produisit la libération d’un nuage d’éléments radioactifs dans l’atmosphère, occasionna des innombrables morts et maladies reliées avec le cataclysme, des déplacements et évacuation de la population, provoqua une large contamination écologique, ainsi que des conséquences économiques, psychologiques et sociales jamais clairement évaluées. Même si tous les experts s’accordent sur la gravité de l’évènement, il y a une énorme disparité dans le bilan du cataclysme, les chiffres des morts directes et indirectes variant entre deux centaines de personnes (Michael Shellenberger), jusqu’à un million (selon le rapport russe A. Yablokov).
Le but de Svetlana Alexievitch était de recenser les conséquences tragiques de l’évènement, sur le plan physique, psychologique et sociologique, en insistant sur la dimension humaine et personnelle du drame. L’objectif est nettement accompli il n’y a pas de doute, mais, d’un point de vue strictement littéraire, cela reste de l’essai, il n’y a pas vraiment de récit littéraire en soi. Bien sur ce n’était pas l’objectif, le mérite de ce livre est tout simplement d’exercer de mémoire collective de l’événement. Rien de plus, rien de moins.
L’autrice ne fait aucune dénonciation ni fait passer aucun message écologique, ni politique, ni même émotionnel. Pas de critique directe non plus, même si les critiques au gouvernement en place, à la corruption des institutions et à la néfaste gestion de la crise sont très présentes dans les témoignages. Les faits sont très durs et les témoins sont émouvants (beaucoup d’entre eux sont décédés de conséquences de la radiation dans les années qui suivirent les entretiens), mais le parti pris de Svetlana Alexievitch est justement de s’effacer complétement pour solidifier la dimension ‘mémoire’ de l’œuvre. Il n’y a pas vraiment un partie pris artistique marqué, mis à part l’ordre et la sélection de témoignages. Ce drame humain, présenté d’une façon factuelle et presque froide, nous permet de tirer nos propres conclusions, comme lorsque la foi aveugle du peuple dans la patrie et le communisme, est rudement mise à l’épreuve par l’ennemi invisible qui est la radiation.
Les extraits sont trop courts et, même si l’empathie se fait de suite par le réalisme des faits, je reste sur ma faim d’avoir un peu plus de développement. Les protagonistes ne sont pas les personnes impliquées (sauf peut-être la société dans son ensemble), mais plutôt l’évènement lui-même. Le livre s’ouvre sur une histoire d’amour et se ferme sur une autre. C’est sans doute mes deux moments favoris, ceux où le récit prend plus d’ampleur littéraire au-delà de son incalculable valeur comme recueil et mémoire.
Des parties de ce récit ont inspiré la merveilleuse mini-série ’Tchernobyl’, crée par Craig Mazin en 2019, avec comme acteurs principaux Jared Harris, Stellan Skarsgård et Emily Watson.
Citations :
« …nous avions été élevés dans l’idée que l’atome pacifique soviétique n’était pas plus dangereux que le charbon ou la tourbe. »
« Les gens n’ont pas envie d’entendre parler de la mort. De l’horrible… Mais moi, je vous ai parlé d’amour… De comment j’aimais. »
« La chose la plus juste au monde, c’est la mort. Personne ne peut se cacher d’elle. La terre reçoit tout le monde, les bons et les mauvais, les pécheurs. Mais il n’y a aucune autre justice au monde. »
« Je crois que, si nous avions vaincu Tchernobyl, il y aurait plus de textes. Ou si nous l’avions compris. Mais nous ne savons pas comment tirer le sens de cette horreur. Nous n’en sommes pas capables. Car il est impossible de l’appliquer à notre expérience humaine ou à notre temps humain… Alors vaut-il mieux se souvenir ou oublier ? »
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