(Der Besuch der alten Dame, 1956)
Traduction : Jean-Pierre Porret. Langue d’origine : Allemand
⭐⭐⭐
Ce que raconte cette pièce de théâtre :
En proie à une longue crise économique, le village de Gûllen attend comme du pain béni le retour de la milliardaire Claire Zachanassian dans l’endroit où elle a grandi, pour pouvoir lui soutirer un peu d’argent qui puisse sortir les villageois de l’impasse. Claire arrive avec son flamant nouveau mari et pour fêter cela elle promet au maire une donation de cent milliards, mais à une condition : Alfred Ill, le vieil épicier, doit mourir. Avec cette mort la vieille dame veut racheter une injustice commise des décennies auparavant, car Monsieur Ill l’avait abandonnée lors qu’elle était jeune et enceinte de lui, la jetant dans la misère. Horrifiés par la proposition les villageois la rejettent en plein, mais petit à petit la perspective d’une pluie d’argent semble changer leur sens de la justice.
La justice s’achète :
‘La visite de la vieille dame’, tragicomédie en trois actes, est sans doute la pièce la plus connue et jouée de Dürrenmatt. Comme d’habitude dans l’œuvre de son auteur, l’ambiguïté morale et la justice prennent la place centrale du récit. Car le sujet de l’enrichissement personnel aux dépens de la mort de quelqu’un se mélange avec le vieil amalgame entre Justice et Vengeance.
Malgré les réticences initiales, le miroitement de l’argent corrompra tout le monde, sombrant la petite société du village dans le délitement moral. D’abord horrifiés, ils vont petit à petit changer d’avis, jusqu’à souhaiter que l’épicier Ill meure. Aveuglés par les richesses promises par la vieille milliardaire, tous s’affairent à chercher une bonne excuse qui puisse soutenir d’un point de vue éthique l’idée de la mort d’Ill. Pour faire cela sans compromettre leur conscience, ils vont justifier le choix de sa mort par la réparation d’une injustice, l’expiation d’une erreur passée, et ils entraineront les conditions nécessaires pour que quelqu’un le tue. Peu importe qui doit exécuter la sentence, elle semble inéluctable.
Dans cette parabole sur l’échec de la justice comme à concept objectif et pur, le positionnement du dramaturge est assez neutre, il ne juge ni l’un ni les autres, simplement il souligne le caractère volubile de l’être humain, sa nature intrinsèquement amorale et le côté aléatoire de la justice. Seulement le subtil humour caustique qui parcourt la pièce laisse entrevoir la critique derrière les mots.
Un petit côté désuet et poussif et l’excessive simplicité du dispositif narratif me fait préférer les romans noirs de Dürrenmatt, comme ‘La promesse’ ou ‘Le Juge et son bourreau’, finalement plus riches et complexes, notamment dans ses dilemmes moraux. C’est quand même une très belle pièce de théâtre.
Citation :
« Personne ne veut me tuer, chacun espère qu’un autre le fera, si bien que ça finira par arriver. »
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