(O ano da morte de Ricardo Reis, 1984)
Traduction : Claude Fages. Langue d’origine : Portugais
⭐⭐⭐⭐⭐
Ce que raconte ce roman :
Lisbonne, 1935. La deuxième guerre mondiale se dessine à l’horizon lorsque le médecin Ricardo Reis, un des noms d’emprunt du poète Fernando Pessoa, revient du Brésil après une absence de seize années. Ricardo Reis séjourne temporairement à l’Hôtel de Bragança, car il n’est pas trop sûr de vouloir s’installer à Lisbonne. À la mort de Pessoa, son hétéronyme Ricardo Reis semble peu impliqué dans sa propre identité, et il se verra tiraillé entre deux femmes, la mystérieuse et inaccessible Marcenda, bourgeoise infirme qui séjourne à l’Hôtel, et la douce et humble Lidia, une des femmes de ménage de l’établissement. Sans préavis, l’esprit de Pessoa commence à rendre visite à Ricardo Reis, pour évoquer, entre autres sujets, Portugal, identité et mort.
Solitude dans une Lisbonne irréel :
Le succès arriva tardivement à José Saramago, ce n’est qu’à partir de la quarantaine, avec ‘Le dieu manchot’ (1982) et ‘L’année de la mort de Ricardo Reis’ (1984) que l’écrivain portugais commence à être connu internationalement, même si la consécration lui arrivera plutôt à partir de 1995 avec la publication de ‘L’aveuglement’, probablement son livre le plus connu et traduit. ‘L’aveuglement’ cimenta le prestige de l’auteur et fut sans doute clé pour l’attribution de Prix Nobel de littérature en 1998. Donc, même si écrit passé la quarantaine, ‘La mort de Ricardo Reis’ est donc un de ses premières romans.
Dans cette première partie de l’œuvre du Prix Nobel portugais le style est à la fois très sobre et très alambiqué. Des longues phrases se déversent dans un flux torrentiel, ponctués de digressions et des commentaires parallèles, avec l’alternance des dialogues assurée par des simples virgules suivies de majuscule, mélangeant dans un même paragraphe, les dialogues avec la narration à la troisième personne. Malgré ce style riche, dense et recherché le roman n’est pas indigeste, au contraire, une prodigieuse fluidité s’installe et fait facilement voyager le lecteur, à condition qu’il adhère à ce parti pris narratif.
Ricardo Reis est donc un des hétéronymes de l’écrivain et poète Fernando Pessoa, auteur du ‘Livre de l’inquiétude’ et probablement l’auteur lusophone le plus important du XXe siècle. Saramago place Reis au cœur de son récit en lui attribuant la vie d’un médecin qui rentre de son exile brésilien, pour en réalité proposer une profonde réflexion sur les thèmes centraux de ce roman : l’identité, la solitude et la mort. Un peu à la façon de l’étranger de Camus, Reis sera presque absent émotionnellement de son propre récit, tout lui semblera obscur et impénétrable, lui-même inclus. Il hésite à s’installer dans un appartement, à reprendre sa carrière de médecin en main, et il n’arrive pas à se décider entre les deux femmes de sa vie. De ce détachement de sa propre vie s’en dégage une sensation de profonde solitude.
Les conversations entre Reis et l’esprit de Pessoa sont au centre de la narration et des enjeux philosophiques du roman. Pessoa mort, son esprit fait ses adieux à sa Lisbonne chérie, dans un étrange et métaphysique compte à rebours. On se demande si le même destin attend à son hétéronyme Ricardo Reis. Le titre du roman semble s’incliner vers cette possibilité. En attendant, les errances de Reis nous mènent dans les ruelles d’une ville insolite, irréelle, presque onirique. Au fil des indécisions de Reis, l’histoire du Portugal et de l’Europe s’immiscent dans le récit. L’arrivée au pouvoir de Franco en Espagne, la montée des nazis en Allemagne, du fascisme en Italie, etc… Des événements qui ne vont absolument pas impacter Reis, trop concentré sur le brouillard qui domine son existence.
Il n’est pas indispensable d’avoir lu Pessoa avant de lire ‘L’année de la mort de Ricardo Reis’, mais sans doute cela peut permettre de comprendre mieux l’œuvre, profiter plus des détails, et saisir la profondeur du livre. C’est un roman complexe par ses thèmes, par son existentialisme marqué, et par la luxuriance de son style, donc soyez prévenus, ce n’est pas une lecture aussi facile que ‘L’aveuglement’ ou d’autres œuvres postérieures de l’auteur. Mais malgré toutes ces mises en garde, si vous arrivez à rentrer dedans, la fluidité de la narration peut vraiment vous emporter dans un voyage splendide à la recherche de l’identité de Ricardo Reis dans cette Lisbonne fantomatique.
‘La mort de Ricardo Reis’ est un roman aussi étrange et déroutant que virtuose et intelligent. Magnifique.
Citations :
« (…) c’est difficile pour quelqu’un de vivant de comprendre les morts, Je crois qu’il n’est pas moins difficile pour un mort de comprendre ceux qui vivent, Le mort a toute l’avantage d’avoir été vivant, connait toutes les choses de ce monde et de l’autre, mais ce qui sont vivants sont incapables d’apprendre ce qui est fondamental et en tirer les conséquences pertinentes, Quel chose, Qu’on meurt, Nous, les vivants, on sait qu’on va mourir, Ils ne le savent pas, personne le sait, comme je ne le savais pas non plus lorsque je vivais, ce qu’on sait, cela oui, est que les autres meurent, »
« (…) qui n’a pas Dieu cherche des dieux, et qui abandonna les dieux, un Dieux invente, un jour nous serons délivrés de celui-ci et de ceux-là, » (Traductions improvisées)
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