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Le corps transparent

Mirko Kovač

(Nebeski zaručnici, 1987)
Traduction : Pascale Delpech. Langue d’origine : Serbo-Croate
⭐⭐

Ce que raconte ce recueil de nouvelles :

Recueil des nouvelles écrites par Mirko Kovač dans lesquelles l’écrivain lui-même se met en scène dans un rôle souvent secondaire. Parfois il sera témoin involontaire des évènements, parfois il décrira ce qui est arrivé à des membres de sa propre famille, parfois il cherchera un reflet de sa propre personne. Avec un côté autobiographique très marqué, Kovač s’attache à décrire le drame quotidien de la vie dans la Yougoslavie sous Tito, après la deuxième guerre mondiale.

Dans la dernière nouvelle, celle qui donne le titre au recueil, ‘Le corps transparent’, l’écrivain revient sur la ville et le quartier de son enfance, et trouve un jeune homme à la fenêtre de la maison où il avait grandi. Ces retrouvailles avec lui-même lui permettent de réfléchir sur le poids de la mémoire et sur l’ombre inévitable de la mort.

Après la brouille entre Tito et Staline :

La plupart de ces nouvelles, se déroulent dans la Yougoslavie d’après deuxième guerre mondiale, lors que l’auteur, né en 1938 a dû grandir. Le contexte historique de la Yougoslavie n’est pas forcement expliqué dans ces nouvelles, donc si vous ne connaissez rien sur la figure de Tito, sa façon de voir le communisme et les liens entre la Yougoslavie et les URSS, il y a fortes chances que vous soyez perdus ou que vous n’appréciez guère ces nouvelles. Donc si vous n’êtes pas calés en histoire de la Yougoslavie d’après la deuxième guerre mondiale je vous recommande d’au moins faire une brève visite chez Wikipédia. Notamment ma nouvelle favorite, ‘Le trente-troisième année de la vie’, se déroule pendant la brouille entre Tito et Staline, qui marqua en 1948 l’éloignement de la Yougoslavie de l’union soviétique.

Parenthèse historique : La Yougoslavie avait combattu presque seule l’Allemagne nazi, donc elle était moins redevable de l’armée rouge et de Staline en général, et pouvait se permettre une certaine indépendance vis-à-vis du géant soviétique. Lideré par le maréchal Josip Broz Tito, la Yougoslavie communiste issue de la deuxième guerre, commença son chemin du côté soviétique, mais après quelques déconvenues entre les deux fédérations communistes, le schisme entre Tito et Staline fut acté en 1948. Tito refusa de signer le pacte de Varsovie en 1955 et son isolement progressif le fit adoucir la dureté de son régime et s’approcher des démocraties occidentales. Le développement économique de la Yougoslavie à cette époque ne plut pas à l’URSS, qui conspirait pour que les Balkans soient à nouveau sous l’influence soviétique, mais Tito suivit son tracé, et la République fédérative socialiste de Yougoslavie fut proclamé en 1963, l’état fédéral regroupait 6 républiques : la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, la Macédoine, le Monténégro, la Serbie et la Slovénie. Malgré la répression du régime, la Yougoslavie était dans les années 70 le pays communiste le plus prospère d’Europe.

Sous le régime de Tito, les traîtres pro-soviétiques pouvaient être enfermés à tout moment dans un camp de concentration sur l’île de Goli Otok, au nord de l’Adriatique, qui regorgeait de prisonniers politiques et dissidents. Ce climat de méfiance, trahison et suspicion relié au communisme yougoslave lors de cette époque historique, sert de base au développement narratif de certaines des histoires de Mirko Kovač. Les thèmes des nouvelles dérivent du fait que le contexte communiste s’immisce implacablement dans la société et impacte l’humain. La vie quotidienne dans cette contrée du monde est souvent indissociable de la politique.

Aussi, certaines nouvelles comme ‘Le corps transparent’, s’intéressent plus à l’acte de l’écriture lui-même, et mettent en scène le propre écrivain en train d’écrire, dans une sorte de métafiction étrange et fantastique dans laquelle le passé et le présent s’entremêlent et dialoguent (littéralement), avec la peur de la mort toujours en arrière-plan.

Censuré, ostracisé, banni et poursuivi par le gouvernement yougoslave dans les années 60 et 70 par ses prises de position anticommunistes, Kovač ne cessa de mettre sous la lumière les failles du régime. Avec l’éclatement de la Yougoslavie dans les années 90, Kovač s’opposa frontalement au régime de Milosevic et décida de fuir Belgrade et s’installa en Croatie, où il finit ses jours en 2013. Son œuvre est indispensable pour tous ceux qui souhaitent approfondir sur l’histoire géopolitique des Balkans et du communisme, après la deuxième guerre mondiale.

Malgré la qualité évidente de leur écriture et l’intérêt des sujets traités, ces nouvelles ne m’ont pas forcément transcendé d’un point de vue strictement littéraire. Peut-être la traduction y est pour quelque chose.


Citations :

« J’ai entendu dire que les morts parcourent la planète et qu’ils sont visibles. Avons-nous la preuve de ce que nous sommes ? »

 

« Je croyais de plus en plus qu’il n’y avait pas de vie en dehors des livres, et s’il y en avait une, elle ne m’intéressait pas. »

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