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Le dieu du carnage

Yasmina Reza

(2006)
Langue d’origine : Français
⭐⭐⭐⭐⭐

Ce que raconte cette pièce de théâtre :

Dans un parc un enfant frappe un autre au visage avec un bâton, lui provocant une blessure et la perte de deux dents. Alain et Annette, les parents de garçon agresseur se rendent chez Véronique et Michel, les parents du garçon victime, pour s’excuser. Les deux couples semblent arriver vite à une cordiale entente, et rédigent ensemble un compte rendu des faits. Mais lors que Annette et Alain se disposent à partir, Véronique demande que leur enfant vienne s’excuser en personne. Ce qui devait être une soirée anodine commence à déraper et les quatre personnages commencent petit à petit à montrer leurs côtés le plus sombres.

Duel à quatre :

Après le considérable succès de sa pièce ‘Art’ (1994), Yasmina Reza s’est installée dans le panorama théâtral francophone et aussi international, comme une spécialiste incontournable des abîmes insondables de l’âme humaine, notamment dans ses recoins le plus sombres. Dans ’Le dieu de Carnage’, Reza approfondit dans la nature sauvage qui sommeille à l’intérieur des êtres humains. Prenant comme à détonnant cette banale (ou pas) rixe entre deux garçons, chacun de ces quatre personnages sera mené à exprimer sa vraie nature intérieure, explosant le verrou que la société nous impose pour s’assurer qu’on ne dépasse pas les limites.

C’est celui-là le thème de la pièce, cet affrontement entre les lois qui gèrent la société et le côté sauvage de notre inconscient. Justement, lorsque Annette vomit sur la table basse du salon, moment charnier de la pièce, tout va basculer. C’est à partir de ce moment où toutes les vannes vont s’ouvrir et le château de cartes de la retenue et la politesse va éclater en mille morceaux. C’est une pièce de théâtre profonde du point de vue sociologique et absolument remarquable du côté introspection psychologique.

Les quatre personnages sont très marqués : Coté parents de la victime on trouve Véronique, femme engagée soucieuse de la situation en Afrique et amatrice de l’art, l’intellectuel bobo par excellence. Son mari, Michel, est un homme bof un peu soumis à sa femme, dont le côté simple et vulgaire exaspère Véronique. Côté parents de l’agresseur on trouve Annette, une hypocrite business woman dépassée par les évènements, qui essaie de garder sous contrôle cet incident, tout comme sa vie. À l’extrême du manque de conscience, se trouve son mari Alain, avocat cynique pendu en permanence de son téléphone, qui se languit de quitter cette soirée qui considère une perte de temps colossale.

Véronique, mère de garçon agressé et Alain père du garçon agresseur incarneront les deux extrêmes, les deux pôles autour desquels gravite cette comédie aux accents dramatiques. A différence de sa femme, Alain assume complètement son cynisme et désinvolture, ce qui provoquera presque dès le départ le rejet de Véronique, le seul personnage qui a une vraie conscience, aussi superficiel qu’elle puisse paraitre en apparence. Véronique croit fortement au pouvoir de la culture et l’éducation pour changer les individus et créer une société plus harmonieuse. Elle sera le seul personnage qui sombrera dans la violence à contrecœur, à reculons. Mais c’est justement sa perte de contrôle qui va mener la vraie réflexion sociologique de la pièce, lorsque le coté sauvage, ce que Véronique appelle la « logique passionnelle », va l’emporter face aux conventions de la société.

Puissant, rempli de mauvaise foi et redoutablement entertaining. Jubilatoire

Le film ‘Carnage’ réalisé par Roman Polansi en 2011, restait très fidèle à l’œuvre, seulement plaçant l’action aux US. Il réunissait un casting stellaire formé par Jodie Foster (Véronique/Penelope), Kate Winslet (Annette/Nancy), Cristoph Waltz (Alain/Alan), et John C. Reilly (Michel/Michael).


Citations :

« Vous savez, personnellement, ma femme a dû me traîner. Quand on est élevé dans une idée johnwaynienne de la virilité, on n’a pas envie de régler ce genre de situation à coups de conversations. »

 

« Les enfants nous entraînent au désastre, c’est une loi. Quand tu vois les couples qui s’embarquent en riant dans le matrimonial, tu te dis ils ne savent pas, ils ne savent rien les pauvres, ils sont contents. On ne vous dit rien au départ »

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