Littérature des 5 continents : CroatieEurope

Le ministère de la douleur

Dubravka Ugrešić

(Ministarstvo boli, 2004)
Traduction : Janine Matillon. Langue d’origine : Croate
⭐⭐

Ce que raconte ce roman :

Tanjica est une jeune femme qui a dû s’exiler de l’ancienne Yougoslavie ou moment de la guerre civile, au début des années 90. Elle atterrit à Amsterdam où elle devient professeur de langue slave à l’université. Sauf qu’après l’éclatement de la Yougoslavie dans plusieurs pays, l’enseignement d’une langue serbo-croate unique n’a plus trop de sens. Ses étudiants, issus de l’ancienne Yougoslavie comme elle, sont tous traumatisés en quelque sorte par la guerre et l’exil. Face au dilemme de construire ses cours autour du serbe, du croate ou encore du bosniaque, elle leur propose de mettre langue et littérature de côté et se centrer sur leurs expériences de vie pour réfléchir à leur condition d’expatriés, avec comme objectif retrouver leur propre identité et faire le deuil de leurs vies passées.

Quête d’identité pendant l’exile hollandais :

‘Le ministère de la douleur’ est sans doute un récit à fort teint autobiographique. Pendant la guerre des Balkans, Ugresic s’était exilée aux Pays-Bas où elle aussi donna des cours de littérature serbo-croate, à l’université d’Amsterdam. Sa vision du traumatisme laissé par la guerre et l’univers de l’exilé dans une ville inconnue sont les sujets le plus intéressants de ce roman. Pour le reste, les personnages ne sont pas vraiment trop définis, les différences entre eux s’établissent plutôt par leur positionnement en rapport au conflit des Balkans, à l’éclatement de l’ancienne Yougoslavie et à la situation politique dans les différents pays issus de la guerre. Même la protagoniste principale, Tanjica, sans doute une version de l’écrivaine elle-même, ne semble pas se détacher par un caractère particulier, c’est surtout l’atmosphère et les situations décrites qui prennent le devant de la narration.

Le côté sombre de la société occidentale et la place marginale laissée à l’immigré, sont montrés progressivement dans le livre jusqu’à dominer la dernière partie du récit. Je ne suis pas sûr du sens métaphorique du titre originale ‘Ministarstvo boli’, mais en tout cas ‘Le ministère de la douleur’ est le nom d’une boutique d’articles érotiques et sadomasochistes qui est mentionné brièvement au début du livre car certains exilés y travaillent, mais ne semble pas jouer aucun vrai rôle dans le développement ni de l’intrigue ni de ses thèmes.

Le sujet ultra central du livre est donc la condition de l’exilé et l’équilibre qu’il doit trouver entre une vie passé qui n’existera plus jamais et une vie présente à laquelle il se voit contraint d’adhérer. Entre la nostalgie et le déracinement, les vies de ces exilés du conflit balkanique semblent être mises en stand-by, tandis que le reste du monde continue à tourner (voir citation ci-dessous).

Le style d’Ugrasic est assez limpide et directe, en à peine quelques mots elle à arrive à esquisser parfaitement toute l’atmosphère d’un lieu, ou l’émotion ressentie par quelqu’un. Les métaphores sont simples mais très évocatrices et superbement bien écrites, la prose est très facile à suivre et le sujet de l’exile est fascinant et traité avec finesse, et cependant le livre peine à démarrer, notamment par un manque presque total d’action ou d’intrigue. Mise à part un petit rebondissement vers le milieu du récit et son dénouement, il n’y a pas des vrais enjeux narratifs, le roman se limite à décrire la vie de notre professeure et à réfléchir sur la condition d’expatrié. Si cela est suffisant pour vous, vous serez conquis, mais sinon il y a fortes chances que ce roman vous laisse avec une sensation d’inachèvement. Comme un livre qui n’arriverait jamais à dépasser le premier chapitre pour commencer.


Citation :

« Les gens de notre tribu portent dans leur front le stigma invisible de l’erreur de Colomb. Nous voyageons vers l’ouest et nous arrivons toujours à l’est, et le plus qu’on pénètre dans l’ouest, plus à l’est on arrive. Notre tribu est maudite. Le retour au pays dont on vient est notre mort, rester dans les pays où on arrive est notre défaite. » (Traduction improvisée)

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