Littérature des 5 continents : AutricheEurope

Le mur invisible

Marlen Haushofer

(Die Wand, 1963)
Traduction : Liselotte Bodo, Jacqueline Chambon. Langue d’origine : Allemand
⭐⭐⭐⭐

Ce que raconte ce roman :

Notre narratrice, une femme veuve avec deux filles déjà adultes, rejoint sa cousine Louise et son mari Hugo dans leur chalet de montagne. Le soir, le couple part pour une soirée dans un village des alentours, laissant la femme seule avec leur chien, Lynx. La femme finit par s’endormir et elle constate le lendemain matin que Louise et Hugo ne sont jamais rentrés. Perplexe, la femme part les chercher sur la route qui mène au chalet, et découvre, en bas de la gorge à l’entrée dans la vallée, qu’un mur invisible à encerclé cette région montagneuse en la coupant du reste du monde.

De l’autre côté du mur, selon ce que la femme peut apercevoir, toute forme de vie humaine ou animale semble être morte et pétrifiée instantanément. Très vite, notre narratrice, accompagné du chien du couple, d’une vieille chatte et d’une vache qui trainait de son côté du mur, devra s’organiser pour faire face à sa survie.

Robinsonne des Alpes :

‘Le mur invisible’ est un fabuleux et unique roman dystopique qui finalement n’a de fantastique que les prémices initiales : Le mur invisible. Une fois installée cette séparation entre le monde sans vie, et la parcelle montagnarde où vit notre narratrice, le reste du roman suit une routine absolument réaliste, qui trouve tout son charme et son style dans une absence presque totale d’intrigue, plongeant le récit dans une simple énumération détaillée du quotidien de cette Robinsonne des montagnes Alpines.

Car cette femme ne va pas profiter de cette mésaventure pour plonger dans des longues tirades philosophiques sur le sens de l’existence, l’absurde de l’être humain, ou le désespoir de la solitude, comment on pourrait s’attendre d’un roman écrit en allemand. Plutôt, et justement pour pas dériver dans le drame et la dépression qui pourrait lui procurer de trop plonger dans ses souvenirs ou de trop se projeter dans le futur, elle préfère ignorer autant son passé que le mur, et se concentrer d’une façon pragmatique dans la simple survie.

Le roman a très peu d’action, mais c’est étonnant à quel point cela devient prenant même sans la moindre intrigue. Elle énumère, dans une sorte de journal/monologue à la première personne, tout l’enchainement des taches qu’elle doit accomplir pour assurer sa survie et celle de ses animaux domestiques. Le roman s’articule donc sur la vie quotidienne de cette femme : Je plante les pommes de terre, je porte de foin à ma vache, je mets un bol de lait pour la chatte, je coupe du bois, je pars à la chasse, je répare la clôture, etc… Et cela le long de plus de 300 pages dans lesquelles on ne s’ennuie même pas une seule seconde.

Lors de ses explorations elle découvrira un lieu d’alpage, dans lequel notre protagoniste passera des moments d’incertitude, mais aussi des moments de bonheur. Le contraste entre sa vie peut-être un peu mondaine et sans étincelles avant le mur, et sa vie actuel, aux grès des saisons et en contact avec la nature, laisse entrevoir une critique de la société de consommation mais sans que cela devienne poussif ni naïf. Notre narratrice se concentrera plus dans sa nouvelle famille animale que dans le souvenir de sa vie précédente. L’écriture de son journal de bord lui permet de ne pas sombrer dans la folie ni dans la mélancolie.

La menace de la bombe atomique témoigne de cette période après la deuxième guerre mondiale où l’idée d’un possible cataclysme à l’échelle mondial était dans tous les esprits. Mais ‘Le mur invisible’ est une œuvre qui a bien vieilli, son récit factuel, réaliste, et dépourvu de pathos et d’idéologie, contourne avec brio toutes les pièges qui lestent les romans dystopiques de l’époque.

La clé de ce roman réside dans un foreshadowing très subtile : La narratrice nous anticipe, presque au passage, certains évènements dramatiques (que je ne vais pas spoiler, elle-même le fera le moment venu), puis de façon de plus en plus insistante jusqu’à qu’on arrive au dénouement.

Le quotidien de cette femme, pionnière de l’éco-féminisme, peut décevoir certains lecteurs, qui pourraient s’attendre à des explications ou des rebondissements sur la question du mur et de la catastrophe, ou bien à des profondes réflexions sur l’être humain face aux désespoirs de la solitude, hors il n’y a rien de cela ici. La réflexion vient, mais subtile et immiscée dans ce journal de survie, et c’est plutôt la force de son réalisme ce qui fait de ce roman une lecture inoubliable.


Citation :

« Ce n’est pas que je redoute de devenir un animal, cela ne serait pas si terrible, ce qui est terrible c’est qu’un homme ne peut jamais devenir un animal, il passe à côté de l’animalité pour sombrer dans l’abîme. »

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