(Na Drini ćuprija, 1945)
Traduction : Pascale Delpech. Langue d’origine : Serbo-Croate
⭐⭐⭐
Ce que raconte ce roman :
Višegrad, Bosnie-Herzégovine. 1516. Un garçon Serbe de dix ans est déporté avec d’autres enfants vers Istanbul, comme à recrutement forcé pour le travail à la capitale ottomane. Prisonnier dans sa cage, il traverse la Drina dans le bac de Višegrad, sa mère restant dans l’autre rive, inconsolable. Cet enfant deviendra un homme important dans l’empire ottoman, mais n’oubliera jamais ce passage dans le fleuve, et il développera un projet pharaonique : La construction d’un gigantesque pont sur la Drina.
Il s’en suit l’histoire de ce pont, dès sa construction accidentée, commandité par le vizir, jusqu’au début de la première grande guerre, en 1914. Le long de quatre siècles, le pont traversera les guerres, les périodes d’accalmie, la fin de la domination ottomane, l’arrivée du chemin de fer, l’annexion à l’empire Austro-hongrois, et la première guerre mondiale, mais le pont restera toujours là, imperturbable.
Histoire d’un pont à la croisée de l’Orient et l’Occident :
Dans ce pont, la vie se donne rendez-vous. Les évènements les plus importants de l’histoire de la ville, auront un rapport direct avec lui. Le pont sera témoin des crimes, des guerres et des plus horribles massacres, mais aussi des baisers-volés des amoureux, des jeux d’enfants, des marchés en plein air, des ivrognes qui vont et viennent, des invasions diverses…
Chronique de quatre siècles de l’histoire des Balkans, mais plus en générale de l’histoire d’Europe, Ivo Andrić nous offre un récit surprenant, qui mélange habilement tragédie et comédie, et nous emporte dans ce croisement de cultures qui est Višegrad et son fabuleux pont sur la Drina. Près de la frontière avec la Serbie, à mi-chemin entre l’Orient et l’Occident, sur ce pont se concentrent toutes les religions des Balkans : Les Chrétiens (orthodoxes et Catholiques), les Musulmans et les Juifs. Le prix Nobel nous propose une réflexion intéressante sur l’histoire et sur le rapport conflictuel et l’incompréhension mutuelle entre Orient et Occident. Un récit bien nuancé, sans aucun à priori ni parti-pris, développé par un écrivain qui incarne en soi cette multiplicité balkanique : Bosniaque de naissance, Croate d’origine, et puis Serbe d’adoption.
Le long de 4 siècles, on va voir apparaître des tonnes de personnages. Mais puisque le temps historique avance, on va les voir aussitôt disparaître. Cela peut s’avérer un peu frustrant, notamment vers la deuxième partie du livre, car à chaque fois qu’on recommence une nouvelle époque avec ses centaines de nouveaux personnages, on sait déjà que l’écrivain n’aura pas le temps de les développer, ni de leur attribuer des caractères distincts.
Même si c’est magnifiquement bien écrit, on n’arrive pas à s’attacher aux personnages, dont la présence est trop fugace, c’est les situations qui font avancer le récit, plutôt que les personnalités des êtres humains impliquées. Le seul personnage qui sera bien développé c’est le protagoniste absolu : Le pont sur la Drina, personnage à part entière et véritable âme du roman. Les générations passent, les personnages arrivent et s’en vont, mais le pont reste là, inébranlable.
Citation :
« Le pont, lui, était toujours là, égal à lui-même, arborant l’éternelle jeunesse des grandes œuvres conçues avec génie, lesquelles ignores ce que vieillir ou changer veut dire, et ne partagent pas, du moins semble-t-il, le destin des choses éphémères. »
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