(Der Trafikant, 2012)
Traduction : Élisabeth Landes. Langue d’origine : Allemand
⭐⭐⭐⭐
Ce que raconte ce roman :
Vienne, 1937. Face aux difficultés économiques de la famille, la mère de Franz Huchel est obligée de placer son fils chez un ancien ami, Otto Tresniek, un buraliste qui habite Vienne. Au tabac Tresniek, le jeune Franz n’apprendra pas seulement un métier mais aussi la vie. Franz découvre l’amour et tombe amoureux d’une fille mystérieuse d’origine bohème. Malgré les conseils d’un client savant appelé Sigmund Freud, le jeune Franz est totalement paumé et ne sait pas comment gérer ses émotions. La popularité de Hitler et la montée du nazisme dans la ville compliquent les choses pour tous les juifs de la ville, Freud lui-même inclus.
Bildungsroman viennois avec la montée du nazisme en toile de fond :
‘Le tabac Tresniek’ est un roman d’apprentissage situé dans la Vienne d’avant la deuxième guerre mondiale, sous les auspices de la montée du nazisme. La quête de soi contre l’absurde du nazisme, l’amour contre la haine, les sujets sont typiques de ce style de roman, mais l’originalité réside dans la combinaison de tous ces éléments avec la figure réel de Sigmund Freud, un des premiers théoriciens de la psychanalyse, à l’époque du roman un vieux juif mondialement reconnu face au dilemme de l’exile. Freud joue un rôle relativement secondaire mais crucial dans le roman, confrontant à toutes les étapes de l’apprentissage du garçon, les envies et les rêves avec la réalité plus sombre du monde réel qui les entoure.
Ainsi, l’adolescent Franz apprendra le côté obscur de tout ce qui lui tient à cœur : L’amour peut décevoir, les adultes sont parfois abjectes, et la justice ne triomphe pas toujours. Malgré ce côté réaliste mais cynique, le roman maintient quand même un certain ton lumineux, concentré dans l’innocence de Franz, totalement déterminé à profiter de la vie, malgré ses difficultés personnelles et les nuages sombres qui se cernent sur la ville. Le roman approfondi brillamment dans la comparaison entre les soucis personnels de l’adolescent et les inquiétudes globales de l’humanité face à l’abîme.
Autre Franz Huchel, le roman se structure autour de trois personnages secondaires très bien ficelés : Le docteur Sigmund Freud, qui, à plus de quatre-vingt ans, se trouve à conseiller un adolescent sur ses chagrins d’amour, dans une ville où les juifs comme lui commencent à être persécutés. L’unijambiste Otto Tresniek, une figure paternelle pour Franz, qui a fait de son tabac le centre d’une petite communauté de partage, et dégage un humanisme contagieux. Et finalement Anezka, une jeune femme plus âgée que Franz, qui sous son image de fraicheur superficielle cache un vécu complexe que Franz n’arrive pas à décoder.
L’apprentissage du garçon se fera entre les leçons de vie du buraliste Tresniek, les rendez-vous galants souvent ratés avec Anezka, et les séances improvisées moitié psychanalyse moitié virée entre amis avec Freud. Des événements historiques comme l’Anschluss (Annexion de l’Autriche par l’Allemagne nazi en mars 1938) s’immiscent de façon très fluide dans le récit. Plus original par ses ingrédients que par sa thématique, ce fabuleux roman a un charme indéniable et se lit très facilement. Très belle réussite.
Citation :
« (…) c’est peut-être toujours comme ça dans la vie : Dès la naissance on s’éloigne tous les jours un peu plus de soi, et il arrive un moment où on ne sait plus du tout où on est. Est-ce possible que ce soit vraiment comme ça ? »
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