Littérature des 5 continents : EuropeFrance

Les Années

Annie Ernaux*

(2008)
Langue d’origine : Français
⭐⭐⭐⭐

Ce que raconte ce roman :

Prenant comme à point de départ la description de quelques photographies de Annie Ernaux, l’écrivaine nous présente à travers de son histoire personnelle le long d’une soixantaine d’années, la mémoire collective de plusieurs générations. Commençant dans l’après-guerre, ce chronique traverse progressivement toutes les années jusqu’à nos mener à l’entrée du XXIe siècle.

À travers mon histoire j’explique la France :

Écrit à la troisième personne, le récit est une sorte de fausse autobiographie de l’autrice, car en rejetant le ‘je’, Annie Ernaux dépasse l’expérience personnelle pour proposer une lecture collective de la mémoire sociale du pays. Avec une portée universelle et une réflexion sociologique extrêmement poussée, ‘Les années’ est une œuvre relativement facile à lire, mais qui ne fait aucune concession. C’est un travail méticuleux qui filtre en permanence toute vanité et nombrilisme pour ne rester que dans ce qui est global, essentiel et descriptif. Tout ce qui nous permet de comprendre la société et son évolution le long des années.

Plus que la protagoniste du roman, Ernaux devient alors une simple porte-parole d’une génération de français chamboulés par les changements sociétales (l’immigration, l’apparition de la pilule contraceptive, l’avortement, les droits de la communauté LGBTQ+, la nouvelle liberté sexuelle, l’émancipation de la femme), les enjeux politiques (De Gaulle, Mitterrand, Chirac, Sarkozy, la montée du front nationale, toujours depuis la perspective d’une femme fortement engagée à gauche), les évènements marquants (la guerre d’Algérie, mai 68, la guerre du Liban, le changement de millénaire et son fameux bug, le 11 septembre) et puis les mœurs, les habitudes et les découvertes technologiques (la publicité, la télévision, l’irruption d’internet, le téléphone portable, la volonté de paraitre jeune, la consommation débridée).

Avec le style ciselé et totalement dépourvu d’émotion caractéristique de l’autrice, le récit ne sera pas apprécié par ces lecteurs qui ont besoin des enjeux émotionnels, des personnages et de l’action, pour adhérer à la narration. Le parti pris d’Ernaux est la description des faits avec rigueur et objectivité, sans commentaires affectifs ni jugements moraux, presque sans l’humain. Prendre un RER et subir un avortement peuvent être narrés avec la même intensité littéraire. C’est froid mais vrai, et surtout d’une grande profondeur psycho-sociologique. Le livre est subtile sauf peut-être dans ce qui touche à la chronique politique, où il devient plus lourd. Annie Ernaux parle politique d’une façon assez univoque (qu’on peut partager ou pas), ce qui limite énormément les perspectives, en comparaison avec le reste des sujets, traités avec un point de vue plus élargi et une objectivité implacable.

À travers l’histoire d’une femme, on décortique des milliers de vies semblables, dans un jeu de copier-coller surprenant, très épuré, que ne fait que souligner le dérisoire, la futilité de nos petites joies et petites misères. C’est presque un aveu de médiocrité décortiqué avec une perspicacité remarquable. Ce magnifique et unique roman, chronique de soixante ans de la société française, propose une analyse très poussée de la banalité du comportement sociologique de l’être humain. Classe.


Citation :

« On se souvenait du reproche des parents, ‘tu n’es donc pas heureux avec tout ce que tu as ?’. Maintenant on sait que tout ce qu’on avait ne suffisait pas au bonheur. Ce n’était pas une raison pour renoncer aux choses. Et que certains en soient écartés, ‘exclus’, paraissait le prix à payer, un quota indispensable de vies sacrifiées, afin que la majorité continue d’en jouir. »

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