(Camí de Sirga, 1988)
Traduction : Bernard Lesfargues. Langue d’origine : Catalan
⭐⭐⭐⭐⭐
Ce que raconte ce roman :
À travers d’un siècle, on suit la mémoire de la ville de Mequinensa, inondée pour la construction du barrage de l’Èbre, puis reconstruite un peu plus haut. Une fresque complète des personnages de la ville qu’on suit dans leur vie du quotidien, avec ses bateaux plats chargés de lignite, qui sont trainés par des bêtes de charge circulant par un chemin parallèle à la rive du fleuve.
La mémoire sous l’eau :
Ce roman, aussi connu en français sur le titre ‘Les Bateliers de l’Èbre’, prend comme à base narrative la vie quotidienne dans Mequinensa, ville d’où l’auteur en est originaire. Nichée à la confluence de l’Èbre et le Sègre, entre la Catalogne et l’Aragon, Mequinensa était destinée à finir sous l’eau lors de la construction d’un colossal barrage pendant le franquisme. Entre 1957 et 1964 face à l’inondation imminente de la ville, elle fut entièrement reconstruite plus en amont. Ce déménagement laissa sans doute une trace indélébile chez le jeune Moncada. Le traumatisme identitaire produit par ce changement et le besoin de sauvegarder la mémoire de l’ancienne ville désormais inondée, conforment le noyau et l’âme de toute l’œuvre de cet écrivain aragonais d’expression catalane.
Avec sa narration très poétique qui s’étale sur plusieurs époques (Mequinensa inondée et Mequinensa reconstruite), sa myriade de personnages, et la grande complexité lexicale de son langage, notamment pour ceux qui sont peu habitués aux tournures de la région, c’est une œuvre difficile à lire. Mais la récompense est grande, c’est un magnifique et puissant roman.
C’est une ode aux quotidiens des gens simples et à la vie dans le village face au fleuve. On assiste à des milliers de conflits : Les réunions houleuses sur les bancs de l’église, les bateaux qui s’écroulent, les disputes au café, les bêtes qui n’arrivent pas à avancer sur le chemin parallèle au fleuve (Ce camí de sIrga qui donne le titre original au roman).
En plus du fleuve Èbre, véritable personnage central du livre, on croisera des centaines de personnages, La famille Torres i Camps qui domine la ville, la chanteuse de cabaret Madamfransua, les bateliers de l’Èbre… Bien décrits, souvent en à peine une page, on sera témoins de leurs vies parfois misérables, de leurs rêves, de leurs querelles futiles et de leurs passions quotidiennes. Tous vont finir sous l’eau dans la Mequinensa inondé par le fleuve. L’écho de leur voix sera entendu dans la Mequinensa moderne. Avec cette mise en scène évocatrice sur la rémanence de la mémoire, Moncada nous libre un roman merveilleux et unique.
Un classique moderne de la littérature catalane contemporaine.
0 Comments