(Le piccole virtú, 1962)
Traduction : Adriana R. Salem. Langue d’origine : Italien
⭐⭐⭐⭐
Ce que raconte ce recueil de récits :
Recueil de onze extraits, articles et récits plus ou moins autobiographiques, écris par l’écrivaine italienne entre 1944 et 1962. Certains sont plus près de l’article de presse, comme ceux qui sont dédiés à la vie et coutumes de l’Angleterre, tandis que d’autres sont plus axés sur le passé de l’écrivaine, les relations personnelles dans le couple, les rapports sociaux, ou bien réfléchissent sur le propre métier d’écrivain.
Extraits d’une vie et d’une façon de voir les choses :
C’est un recueil magnifique même si très décousu et irrégulier. Certaines nouvelles peuvent charmer complètement le lecteur, tandis que d’autres peuvent sembler plus anecdotiques. Malgré ce déséquilibre, l’œuvre est globalement saisissante par l’originalité du point de vue narratif, la perspicacité psychologique, la capacité d’analyse social et la simplicité avec laquelle des idées complexes sont véhiculées. C’est un court ensemble d’extraits, nouvelles et articles qui témoignent du talent d’une écrivaine unique et inclassable, narrés avec un style ciselé, dans lequel l’innocence se mélange aisément avec l’audace.
Parmi les onze nouvelles ma grande favorite est ‘Lui et moi’, authentique chef-d’œuvre qui fait la dissection d’un couple (Ginzburg et son mari) à travers d’une comparaison permanente entre les deux personnages. Paragraphe à paragraphe, on met la lumière sur le contraste entre leurs caractères, leurs différentes façons d’affronter les moindres choses du quotidien, et leurs visions distinctes de la société. L’écrivaine, avec une autodérision remarquable, décortique toutes les nuances de couple, soulignant les vertus de l’homme tout en pointant du doigt ses propres défauts à elle, mais en gardant quand même un équilibre entre les deux, basé sur le respect mutuel de leur amitié. Ce mécanisme narratif très ciselé, brillant par sa simplicité, réussit le tour de force de mettre complétement à nu ce couple finalement pas si atypique.
Les premières histoires, ‘L’hiver dans les Abruzzes’, ‘Les chaussures trouées’ et ‘Portrait d’un ami’, se centrent sur l’enfance et jeunesse de cette écrivaine italienne. Même si décrit avec plein de pudeur et subtilité, on sent le poids d’une origine misérable qui aurait marqué la vie de la famille. Associés au socialisme italien et militants dans la mouvance antifasciste, la famille de Ginzburg s’est trouvée souvent en difficulté. Le ton de ces histoires et sans doute plus sombre, sérieux et nostalgique.
Quelques extraits, notamment dédiés à l’expérience anglaise de l’autrice, sont peut-être plus gais mais sans doute moins intéressants, même si sous un ton léger et comique, il gît toujours quelque chose de mordant. ‘Mon métier’, un autre de mes favoris, propose une réflexion sur le travail d’écriture, et sur la satisfaction éphémère que lui procure ce métier, toujours accompagnée d’une forte dose de sacrifice proche de l’esclavage (voir citation). ‘Les petites vertus’, réflexion plutôt ironique sur l’éducation des enfants, va clore ce recueil qui, même avec ce côté déséquilibré, réussira sans doute à impressionner les lecteurs simplement par son ton souvent cynique mais toujours émouvant, et par le pur talent de Ginzburg.
Citations :
« Ce métier n’est jamais une consolation ou une distraction. Ce n’est pas une compagnie. Ce métier est un maître, un maître capable de nous fustiger au sang, un maître qui crie et qui condamne. Il nous oblige à ravaler nos larmes, à serrer les dents et essuyer le sang de nos blessures, et à rester debout, et à le servir. Le servir lorsqu’il le demande. Alors il nous aide même à rester debout, à garder les pieds solides sur terre, à vaincre la folie et le délire, le désespoir et la fièvre. Mais c’est lui qui commande, et il se refuse toujours à nous prêter attention, lorsque nous avons besoin de lui ». (Nouvelle ‘Mon métier’) « Ses colères sont soudaines, et débordent comme de la mousse de bière. Mes colères aussi sont soudaines. Mais les siennes s’évaporent tout de suite ; et les miennes, au contraire, traînent lamentablement et obstinément, avec une espèce de miaulement amer, ce qui, je crois, très ennuyeux. » (Nouvelle ‘Lui et elle’)
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