(Heren van de Thee, 1992)
Traduction : Anne-Marie de Both. . Langue d’origine : Néerlandais
⭐⭐⭐⭐
Ce que raconte ce roman :
Île de Java, Indes orientales, au XIXe siècle, sous la domination néerlandaise. Après ses études à Delft et une traversé en mer mouvementée, Rudolf Kerkhoven revient au pays de son enfance avec l’intention de prendre en charge une partie de l’exploitation familiale et expandre les domaines avec encore plus de plantations de thé, café et quinquina. Il fera face à mille difficultés avant de pouvoir s’installer à son compte et penser à fonder une famille.
Épopée exotique avec complexe de manque de reconnaissance :
Dans ce fabuleux roman à l’atmosphère captivante, les plantations de thé et toute la culture de l’exploitation agricole sont mises en valeur, au point que le paysage relié à la culture du thé sera un personnage à part entière (Voir citation plus bas), une espèce de maîtresse que Rudolph traitera souvent avec plus des égards que sa propre famille.
Car Rudolph, seigneur de sa maison et de son exploitation, juste et honnête, mais un peu autoritaire, souffre en silence la vexation d’être négligé par ses frères et ses parents. Il trouve qu’il a toujours été injustement traité, que ses frères ont eu la vie beaucoup plus facile que lui, et qu’on ne le valorise pas assez dans sa famille. Complexé par ce manque de gratitude, Rudolph s’empiétera à vouer toute son énergie à réussir et prouver quelque chose à sa famille. Il traversera mille vicissitudes et toute une vie de sacrifice dans sa voie vers le succès et la reconnaissance, mais à quel prix ?
Hella Haasse vécut une bonne partie de son enfance en Indonésie (alors colonie néerlandaise), mais finit ses études plus tard au Pays Bas. La vie de la colonie avec sa bourgeoisie, son petit monde européen, et ses allers-retours entre Java et les Pays Bas, est bien immiscée dans ce livre qui nous retrace la vie d’une famille relativement aisée le long de plusieurs générations, entre 1869 et 1918. La première moitié du livre se centrera plus sur les difficultés pour démarrer l’exploitation et la mettre sur les bons rails, et dans la deuxième partie Rudolph constituera sa famille, et on décryptera les conséquences des sacrifices imposés pour arriver à réussir.
Malgré que le libre soit une épopée coloniale, il n’y a pas une vraie nostalgie de la domination néerlandaise, mais plutôt une bonne réflexion sur le sujet de la colonisation. Sans gentils ni méchants, les personnages sont assez réalistes et sans extrêmes (Un peu trop lisses par fois, c’est la seule vraie critique que je peux faire à ce roman), marqués plutôt par ses défauts que par ses vertus. La relation avec la population autochtone est développée avec sensibilité et respect, même si, ici, cette population n’est absolument pas mise sur le devant de la scène, comme s’il était un monde à part à celui des colons.
Basée sur des faits réels, documentés grâce à des lettres et papiers de l’époque, « Les seigneurs du thé » est un travail remarquable de reconstitution de toute une époque et une culture. Absolument recommandable, mais (et attention ce n’est pas une critique, juste un constat) si votre intérêt est de connaître plus sur le peuple indonésien lui-même, préférez des auteurs locaux comme Pramoedya Ananta Toer ou Eka Kurniawan. Dans ‘Les seigneurs du thé’ c’est plutôt l’âme néerlandaise ce que l’on va rencontrer.
Citation :
« Chaque fois, il éprouvait le sentiment que ce paysage – même s’il pensait mieux le connaître maintenant pour l’avoir parcouru en tous sens – menait une existence propre, replié, indéchiffrable. »
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