Littérature des 5 continents : EspagneEurope

Lo prohibido

Benito Pérez Galdós

(Lo prohibido, 1885)
Traduction : Pas connue.   . Langue d’origine : Espagnol
⭐⭐⭐

Ce que raconte ce roman :

Madrid, 1880, dernières années du royaume d’Alfonso XII. José María Bueno de Guzmán est un jeune riche et désœuvré. Il s’approche de ses trois cousines et charme la deuxième, Éloïse, qui est cependant mariée. Éloïse est une femme capricieuse, acheteuse compulsive des habilles à la mode, dont leurs caprices constants seront maintenus à contrecœur par son amant José María. Une fois la passion assouvie, José Maria s’approchera de Camila, la mineure des sœurs, qui à son tour, est aussi mariée ; et de María Juana, la plus âgée, aussi mariée.

Trois sœurs mariées et un célibataire névrosé :

Par l’histoire des amours de José María et ses hésitations entre ses trois cousines, Galdós dépeint un portrait d’une certaine classe moyenne assez aisée qui, face à l’ennui, se trouve en claire perte de valeurs. José Maria a un intérêt pour la femme tant que c’est le fruit défendu. C’est ‘lo prohibido’ (ce qui est interdit) ce qui attise le feu qui brûle dans le jeune célibataire. Mais l’impossibilité d’assouvir son désir interdit, son souhait de transgression, lui feront sombrer dans toutes ses névroses.

Car José María a trop de temps libre et tourne mille fois les choses dans sa tête, provocant des tourments intérieurs invivables. Tous les personnages manifestent en quelque sorte un côté capricieux souvent superficiel, mais le vrai thème est celui de la passion dévorante : Cette fièvre qui consomme tant que le désir n’est pas assouvi, mais qui devient lassitude, une fois la passion est autorisée.

À la façon de Balzac, Galdós fait revenir dans ce récit pas mal de personnages connus des autres romans : notamment la moralement ambigüe Rosalia (‘La de Bringas’), l’ultra-catholique adultère Marquise de San Salomó (’La familia de León Roch’), l’ambitieux politicien Manolito Peña (jeune étudiant lors de ‘El amigo Manso’) ou encore Constantino Miquis (‘El doctor Centeno’). Toute une complexe panoplie de personnages secondaires, remplis des faiblesses, misères et peu de lucidité, qui donnent à ce satyre social, son mordant et sa profondeur psychologique.

Un Galdós relativement méconnu, mais solide et bien écrit.

Pérez Galdós, un génie très méconnu :

Probablement l’écrivain espagnol le plus réputé après Cervantes, le travail de ce génie du XIXe siècle est très méconnu dans l’univers Francophone, et donc très peu traduit. C’est bien dommage car il s’agit d’une œuvre gigantesque de dimensions Balzaciennes, autant par le volume que pour la qualité littéraire : ‘Fortunata et Jacinta’, ‘Miaou’, ‘Miséricorde’, ‘Doña Perfecta’, ‘Trafalgar’ sont seulement quelques romans remarquables parmi une œuvre colossal à tous les niveaux.

Dans la plupart de l’œuvre très prolifique de Pérez Galdós on retrouve une grande perspicacité psychologique qui nous permet de capter, par le biais d’un nombre incalculable de personnages, l’essence de l’humain et les inquiétudes de l’homme (et la femme) espagnol du XIXe siècle. D’un côté la classe moyenne, souvent décrite avec des airs de supériorité vis-à-vis des classes moins favorisées, mais tiraillée par une profonde angoisse de la perte de privilèges, et de la chute social et économique qui menacent toujours à l’horizon. Les classes plus populaires sont travaillés avec de la profondeur et de l’ironie, mais aussi avec tendresse et compassion. Le riche a peur de devenir pauvre, et le pauvre a peur de rester dans la pauvreté. L’utilisation des dialogues souvent vulgarisés, et des tournures de phrases très populaires, aide à comprendre ce côté « voix du peuple » qu’on a souvent associé à Galdós. Son style sobre, directe et épuré, recherchant le naturel au-dessus de tout artifice, n’est pas exempt d’un phrasée créatif et poétique et d’une richesse lexique fabuleuse.

La capacité de travail, la facilité et le talent pour l’écriture de Galdós sont évidentes quand on voit qu’il a écrit plus de 80 romans, environ 30 pièces du théâtre, des incalculables essais et publications, et a dirigé plusieurs magazines spécialisés, en plus de devenir député libéral pendant des nombreuses années. Naturaliste, costumbrista et réaliste à parts égales, Galdós connait très bien l’Espagne et connait aussi très bien la nature humaine. Son travail sur le côté misérable autant que sur le côté lumineux de l’être humain, couplé avec le réalisme de la société représentée, et l’incroyable finesse et diversité de ses personnages féminins, nous permet de situer ce géant de la littérature espagnole quelque part entre Zola et Balzac, et sans doute dans le panthéon des plus grands écrivains européens de la deuxième moitié du XIXe siècle.

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