(Miau, 1888)
Traduction : Pas connue. . Langue d’origine : Espagnol
⭐⭐⭐⭐
Ce que raconte ce roman :
Ramón Villaamil, après décades de fonctionnariat dédié, se trouve sans emploi dans l’administration Madrilène. Pour son beau-fils, le corrompu Victor Cadalso, c’est le contraire, il prospère grâce à ses contacts, ses stratagèmes et sa capacité de calcul. Le grincheux Ramón reste des longes journées à la maison, déprimé, avec sa femme Pura, sa fille Abelarda et son petit-fils Luisito, qui maintient des conversations avec un Dieu imaginaire.
Chômeur Quichottesque déprimé par une administration kafkaïenne :
Magnifique roman qui se centre sur les frustrations qui viennent avec l’âge adulte quand on perd contact avec le monde qui nous entoure. Ramon est un homme déprimé, qui ne comprend plus les codes de la nouvelle société, et qui sombre dans la paranoïa et les obsessions. Ramón Villaamil, l’anti-héros sombre, n’arrête pas de déblatérer sur l’administration et l’état, il dénonce toutes les manigances d’un système corrompu et kafkaïen qu’il ne comprend plus. Il vit dans un temps révolu, incapable de s’adapter aux vents nouveaux qui soufflent après la restauration monarchique.
L’amertume de Ramón s’aggrave par son entourage complexe : Sa femme Pura dépense l’argent qu’ils n’ont pas, obsédée du paraître, pas consciente de l’économie restreinte que la famille devrait respecter. Avec sa sœur et sa fille Abelarda, Pura forme un chœur néfaste, qui n’aide pas Ramón. Le beau-fils de Ramón, Victor Cadalso, incarne l’arrivisme, il s’adapte sans souci à cette ambiance changeante, sombre et corrompue de la nouvelle Administration.
Le seul personnage qui essaye d’aider Ramón sera son grand-fils Luisito, qui se tourne vers une idée magique de la religion. Luisito établit des longues conversations avec un Dieu imaginaire, très quotidien et bon enfant, à qui Luisito demandera une issue favorable pour son grand-père. Mais le Dieu de Luisito n’est pas trop convenable, comme ne pouvait pas être autrement avec l’anticlérical Galdós. Véritable trouvaille stylistique du roman, Luisito est un personnage unique, qui compense sa faiblesse physique avec une imagination débordante.
‘Miau’ est une sorte de roman de Kafka avant-la-lettre. Comme dans l’œuvre du génie tchèque, la bureaucratie de l’administration, véritable antagoniste du roman, devient angoissante, labyrinthique et incompréhensible, ce qui explique la montée en puissance des obsessions du protagoniste. Ramón, vexé par l’oubli de l’état, court de chimère en chimère, tel un Quichotte de son temps. Critique acerbe des institutions et de la corruption, dans ‘Miau’ la machine de l’état est présentée comme un monstre qui dévore toute énergie positive. Dans l’univers sombre du roman, la fourberie réussit là où l’honnêteté échoue.
‘Miau’, onomatopée du chat (Miaou), sont aussi les sigles du projet de renouvèlement que Villaamil préconise pour régler les problèmes de l’administration : « Moralidad, Income tax, Aduanas, Unificación » (Moralité, Impôts, Douanes, Unification). Dans cette association absurde on peut voir encore une fois la facette chimérique du protagoniste.
Un travail impeccable de profondeur psychologique et finesse narrative.
Pérez Galdós, un génie très méconnu :
Probablement l’écrivain espagnol le plus réputé après Cervantes, le travail de ce génie du XIXe siècle est très méconnu dans l’univers Francophone, et donc très peu traduit. C’est bien dommage car il s’agit d’une œuvre gigantesque de dimensions Balzaciennes, autant par le volume que pour la qualité littéraire : ‘Fortunata et Jacinta’, ‘Miaou’, ‘Miséricorde’, ‘Doña Perfecta’, ‘Trafalgar’ sont seulement quelques romans remarquables parmi une œuvre colossal à tous les niveaux.
Dans la plupart de l’œuvre très prolifique de Pérez Galdós on retrouve une grande perspicacité psychologique qui nous permet de capter, par le biais d’un nombre incalculable de personnages, l’essence de l’humain et les inquiétudes de l’homme (et la femme) espagnol du XIXe siècle. D’un côté la classe moyenne, souvent décrite avec des airs de supériorité vis-à-vis des classes moins favorisées, mais tiraillée par une profonde angoisse de la perte de privilèges, et de la chute social et économique qui menacent toujours à l’horizon. Les classes plus populaires sont travaillés avec de la profondeur et de l’ironie, mais aussi avec tendresse et compassion. Le riche a peur de devenir pauvre, et le pauvre a peur de rester dans la pauvreté. L’utilisation des dialogues souvent vulgarisés, et des tournures de phrases très populaires, aide à comprendre ce côté « voix du peuple » qu’on a souvent associé à Galdós. Son style sobre, directe et épuré, recherchant le naturel au-dessus de tout artifice, n’est pas exempt d’un phrasée créatif et poétique et d’une richesse lexique fabuleuse.
La capacité de travail, la facilité et le talent pour l’écriture de Galdós sont évidentes quand on voit qu’il a écrit plus de 80 romans, environ 30 pièces du théâtre, des incalculables essais et publications, et a dirigé plusieurs magazines spécialisés, en plus de devenir député libéral pendant des nombreuses années. Naturaliste, costumbrista et réaliste à parts égales, Galdós connait très bien l’Espagne et connait aussi très bien la nature humaine. Son travail sur le côté misérable autant que sur le côté lumineux de l’être humain, couplé avec le réalisme de la société représentée, et l’incroyable finesse et diversité de ses personnages féminins, nous permet de situer ce géant de la littérature espagnole quelque part entre Zola et Balzac, et sans doute dans le panthéon des plus grands écrivains européens de la deuxième moitié du XIXe siècle.
Citation :
« Yo me lavo las manos; yo me estoy en mi casa, y si vienen revoluciones, que vengan; si el país cae en el abismo, que caiga con cien mil demonios. » (Traduction improvisée: « Je me lave les mains, je reste chez moi, et si viennent les révolutions, qu’elles viennent ; si le pays sombre dans l’abysse, qu’il sombre avec cent mille démons. »)
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