(Mirall trencat, 1974)
Traduction : Bernard Lesfargues. Langue d’origine : Catalan
⭐⭐⭐⭐⭐
Ce que raconte ce roman :
Barcelone, début du XXe siècle. Salvador Valldaura, riche bourgeois catalan, va épouser Teresa, une belle femme au charme et personnalité irrésistibles. Salvador, tourmenté par le suicide d’une ancienne amoureuse, et Teresa, hantée par une erreur de jeunesse et progressivement affaiblie physiquement, vont habiter dans une grande demeure dans le quartier riche de la Barcelone d’avant la guerre civile. La maison et son immense jardin, vont être témoins de mille déceptions, des années de malheur, et de la détresse de ses habitants, et sombrera petit à petit, victime de ses fantômes.
Les fantômes du passé :
Bizarrement, ‘La place du diamant’ ou même ‘Rue des Camélias’ semblent être romans plus internationalement connus de cette écrivaine géniale, et, même s’ils sont sans doute magnifiques, le plus grand chef d’œuvre de Rodoreda reste sans aucune doute ‘Miroir brisé’.
Un roman qui, à première abord, semble une simple fresque familiale, une saga de bourgeois en mal d’être, avec des personnages très marqués, parfois attachants, parfois odieux, mais toujours profonds et réels. Mais, petit à petit, les pages passent et progressivement on commence à sombrer dans une atmosphère plus irréelle, presque onirique par moments. Cette magnifique demeure et son jardin, personnage à part entière du roman, sera le décor où les fantômes du passé vont être à l’aise, bien présents, même s’il ne se manifestent pas.
Les descendants de Teresa et Salvador ont plein de faiblesses. Personnages parfois froids et arrogants (comme Sofia, la fille de Teresa) vont cohabiter avec les personnages plus avenants, comme la vieille domestique, véritable havre d’espoir du roman. Avec le style plutôt froid et sobre, parfois détaché, qui caractérise cette écrivaine, « Miroir brisé » avance, au fur et à mesure que les personnages grandissent, vers les évènements sombres qui ont marqué la vie catalane dans le XXe siècle : La guerre, le franquisme. Parallèlement à cet assombrissement du ton du roman, la perspective littéraire va aller vers l’introspection, vers les démons qui hantent notre intérieur, et nous faire plonger de plus en plus dans les abîmes de l’âme humaine. Stupéfiante progression littéraire accomplie avec aisance et maîtrise.
Effectivement c’est dans la troisième génération, les petits enfants de Teresa, que ce beau miroir va se briser en mille morceaux. L’argent et les conventions qui ont maintenu cette famille au-dessus de tous les maux, ne vont plus être en mesure d’éviter la déchéance : Haine, violence, dépravation, et plus que je ne veux pas spoiler, tout cela nous fera avancer vers la ruine morale. Lu de force avec difficulté et ennui au lycée, et relu avec un grand émerveillement plus de 30 ans après (la même édition que j’avais gardé !), ‘Miroir brisé’ est, à mon sens, l’incontestable classique moderne de la littérature catalane et une des grandes œuvres de la littérature universelle du XXe siècle.
Citation :
« Elle se regardait dans un des miroirs qui étaient disposés de chaque côté de la cheminée. Ces miroirs, entourés d’un cadre doré, décomposaient les traits : on aurait dit que la personne qui s’y regardait faisait des grimaces. »
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