(Misericordia, 1897)
Traduction : Maurice Bixio. . Langue d’origine : Espagnol
⭐⭐⭐⭐⭐
Ce que raconte ce roman :
L’hôpital de Miséricorde de Madrid était une institution de bénéficence situé au centre de Madrid. Dans ce cadre au centre de la ville on trouve la mendiante et servante Benina. Elle est une femme pauvre, brave et gentille qui, accompagnée de l’aveugle Almudena, essaie de faciliter la vie et faire le bien pour son entourage. Autour d’elle, un ensemble de sans-abris, mendiants, estropiés, et déchus de la société en tout genre, seront les destinataires de sa pitié.
Cours de miracles dans le Madrid du XIXe :
Publié en 1897 sans le cycle ‘spiritualiste’ des Romans espagnols contemporains, ‘Miséricorde’ passa san peine ni gloire après sa publication, et disparut très vite de circulation. Trente années plus tard, avec Galdós déjà mort, le roman fut réédité et connut un succès considérable. La revalorisation de ‘Miséricorde’ fut progressive est aujourd’hui il est considéré par la plupart de critiques et par beaucoup de lecteurs comme son meilleur travail après ‘Fortunata et Jacinta’.
Un exemple flagrant du naturalisme de Galdós, dans la lignée de Zola et ses récits le plus sombres, c’est un roman relativement atypique de l’auteur. Galdós avait déjà montré les bas-fonds de Madrid dans d’autres romans, mais ce milieu prend ici la place centrale de l’histoire. C’est une plongée d’un extrême réalisme dans ce monde obscur, rempli de personnages de la marge, traités avec amour et tendresse, sans ménager ni les lumières ni les ombres de cette troupe de laissés par compte qui peuplent ce roman. Un profond humanisme se dégage de ce merveilleux livre, délivrant un message à la portée universelle.
Avant d’écrire ‘Miséricorde’, à la façon d’un Zola, Galdós fit une immersion dans ce milieu qui allait décrire dans ce livre, dans le but de se documenter. Dans ses propres mots : « Accompagné par la police, je scrutai les maisons de nuit des rues Mediodía Grande et Bastero, et pour pénétrer dans les répugnants taudis où ils célèbrent ses rites nauséabonds les plus bas prosélytes de Bacchus et Venus, je dus me déguiser en médecin de l’Hygiène municipal. Ce n’était pas suffisant d’observer les plus tristes spectacles de la dégradation humaine, et je sollicitai l’amitié de quelques administrateurs des maisons corridor, où habitent les familles du plus infime prolétariat, je pus voir l’honnête pauvreté et les plus désolants épisodes de douleur et abnégation de nos populeuses capitales… »
Le regard pessimiste et amer que Galdós porte sur la société espagnole, était de plus en plus présent dans les derniers romans de sa carrière, mais ici, ce regard sombre finit par se déliter, grâce à l’ironie et la finesse de ces personnages dans la détresse, à la marge de la société, et la tendresse avec laquelle le génie espagnol s’entiche à leur restituer l’espoir et la dignité.
Sans doute le plus grand chef d’œuvre de la dernière partie de la carrière du génie espagnol.
Pérez Galdós, un génie très méconnu :
Probablement l’écrivain espagnol le plus réputé après Cervantes, le travail de ce génie du XIXe siècle est très méconnu dans l’univers Francophone, et donc très peu traduit. C’est bien dommage car il s’agit d’une œuvre gigantesque de dimensions Balzaciennes, autant par le volume que pour la qualité littéraire : ‘Fortunata et Jacinta’, ‘Miaou’, ‘Miséricorde’, ‘Doña Perfecta’, ‘Trafalgar’ sont seulement quelques romans remarquables parmi une œuvre colossal à tous les niveaux.
Dans la plupart de l’œuvre très prolifique de Pérez Galdós on retrouve une grande perspicacité psychologique qui nous permet de capter, par le biais d’un nombre incalculable de personnages, l’essence de l’humain et les inquiétudes de l’homme (et la femme) espagnol du XIXe siècle. D’un côté la classe moyenne, souvent décrite avec des airs de supériorité vis-à-vis des classes moins favorisées, mais tiraillée par une profonde angoisse de la perte de privilèges, et de la chute social et économique qui menacent toujours à l’horizon. Les classes plus populaires sont travaillés avec de la profondeur et de l’ironie, mais aussi avec tendresse et compassion. Le riche a peur de devenir pauvre, et le pauvre a peur de rester dans la pauvreté. L’utilisation des dialogues souvent vulgarisés, et des tournures de phrases très populaires, aide à comprendre ce côté « voix du peuple » qu’on a souvent associé à Galdós. Son style sobre, directe et épuré, recherchant le naturel au-dessus de tout artifice, n’est pas exempt d’un phrasée créatif et poétique et d’une richesse lexique fabuleuse.
La capacité de travail, la facilité et le talent pour l’écriture de Galdós sont évidentes quand on voit qu’il a écrit plus de 80 romans, environ 30 pièces du théâtre, des incalculables essais et publications, et a dirigé plusieurs magazines spécialisés, en plus de devenir député libéral pendant des nombreuses années. Naturaliste, costumbrista et réaliste à parts égales, Galdós connait très bien l’Espagne et connait aussi très bien la nature humaine. Son travail sur le côté misérable autant que sur le côté lumineux de l’être humain, couplé avec le réalisme de la société représentée, et l’incroyable finesse et diversité de ses personnages féminins, nous permet de situer ce géant de la littérature espagnole quelque part entre Zola et Balzac, et sans doute dans le panthéon des plus grands écrivains européens de la deuxième moitié du XIXe siècle.
Citation :
« Je vais faire manger ce pauvre affamé, qui n’avoue pas sa faim par la honte que cela lui fait… Quel misérable monde, Seigneur ! Ils disent bien que celui qui a vu le plus, plus voit. Et quand une croit que on est arrivés au sommet de la pauvreté, il se trouve qu’il y a d’autres encore plus misérables, parce qu’une se jette dans la rue, et mendie, et on lui donne, et mange, et avec un demi petit pain, se nourrit… Mais ceux qui mettent ensemble la honte avec l’envie de manger, et sont délicats et précieux pour quémander : ceux qui ont eu des moyens et de l’éducation, ne veulent pas se rabaisser… Mon dieu, qu’est-ce qu’ils sont malheureux ! »
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