(El carrer de les Camèlies, 1986)
Traduction : Bernard Lesfargues. Langue d’origine : Catalan
⭐⭐⭐⭐
Ce que raconte ce roman :
Un couple bourgeois, trouve une enfant abandonnée sur les marches d’une maison de la Rue des Camélias à Barcelone. Adoptée par ce couple attentif et gentil, Cecilia va suivre son propre chemin. Cecilia Cé, traine dans la vie avec le vague espoir de retrouver ses parents biologiques. Elle passera d’homme en homme, chacun d’eux profitera en quelque sorte de la pauvre et naïve Cecilia.
Je regarde hébétée comment les hommes profitent de moi :
Après le fabuleux ‘Miroir brisé’ c’est ce livre que je conseillerais pour continuer la découverte de cette écrivaine catalane. Attention ce roman est particulier. Comme dans ‘Miroir brisé’, au premier abord cela a l’air simple, pour dévoiler sa subtilité et complexité littéraire au fur et à mesure qu’on lit.
Comme c’est souvent le cas chez Rodoreda, la protagoniste est une femme naïve avec peu de personnalité. Dans la ligne de ‘La plaça del Diamant’, mais ici cette femme est encore plus ingénue et renfermée sur elle. Parfois, on a l’impression que la narratrice a une sorte de trouble psy, tellement semble étrangère émotionnellement aux évènements qui se déroulent autour d’elle.
On est dans un long monologue intérieur. Le récit froid et factuel sur des choses qui, en soit, sont dramatiques, peut ennuyer et même déranger le lecteur, qui peut s’énerver avec l’indifférence de Cecilia, et avoir envie de la bousculer pour qu’elle réagisse. Mais Cecilia ne réagit pas. Cecilia ne semble pas avoir la capacité de réaction. Donc, patience lecteur. Personnellement je trouve cette narration d’une perspicacité et finesse uniques.
On est dans ce procédé littéraire que j’appelle ‘Narrateur à côté de la plaque’. Le lecteur découvre beaucoup des choses grâce aux discours du narrateur, que le narrateur lui-même n’arrive pas à comprendre. Exemples magistraux de ce procédé : ‘Les vestiges du jour’ de Kazuo Ishiguro, ou ‘Cinq heures avec Mario’ de Miguel Delibes, où le lecteur saura plus que le narrateur lui-même. Je dois avouer que je suis un fan total de cette technique littéraire, assez subtile et pas facile à maîtriser.
Traversant tous les quartiers et les classes sociales, flânant dans les bidonvilles ou se prostituant dans les salons de la bourgeoisie, Cecilia va être toujours dans la marge de la société qu’elle côtoie. Sans jamais s’attacher, elle sera dépendante des hommes qui entrent et sortent de sa vie, bien sûr les uns plus profiteurs que les autres, souvent dépeints avec des caractéristiques plutôt négatives. Cecilia semble chercher quelque chose de son père biologique dans chacun d’eux, ou plutôt c’est la quête de sa propre identité qui la pousse vers l’homme suivant.
Ce qui va nous angoisser dans ce roman c’est que nous, comme à lecteur, on voit déjà tout, mais la pauvre Cecilia semble ailleurs. Nous on a l’espoir qu’un jour quelqu’un va la traiter correctement, mais on n’est pas trop surs qu’elle voit la chose comme nous. Un chef d’œuvre étrange et sophistiqué de Rodoreda.
Citation :
« Il lui a dit qu’il avait trouvé une petite fille. Elle lui a demandé : où ? Il lui a dit : dans la rue des Camélias, vers le milieu de la rue, au pied d’une grille avec tout plein de camélias. Sa femme avait l’air de ne pas vouloir le croire et il a dû le lui répéter, bien posément, qu’au petit jour, à côté de camélias, il avait trouvé une fillette comme un petit chat et qu’elle s’appelait Cecilia. »
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