(Tormento, 1884)
Traduction : Pas connue. . Langue d’origine : Espagnol
⭐⭐⭐⭐
Ce que raconte ce roman :
Madrid, 1867. Amparo Sánchez Emperador, connue comme ‘Tormento’, est une jeune fille amoureuse d’une curée sans vocation appelé Pedro Polo. La peur du scandale les fait cacher cette passion vouée au sacrilège. L’arrivé des Indes de Agustín Caballero, compliquera la situation d’Amparo.
La femme hésitante :
Les doutes d’Amparo (ou ‘Tormento’) sont la base de ce roman très feuilletonesque de Galdós. Tiraillée entre la passion et le devoir, le dilemme d’Amparo est classique de l’œuvre de l’écrivain, et souvent le moteur de l’intrigue, comme sera aussi le cas dans son chef d’œuvre ‘Fortunata et Jacinta’. ‘Tormento’ est l’histoire d’une femme qui vit à deux doigts de la perdition et d’être entrainée vers la déchéance sociale, pour un amour qu’elle sait très bien qui la mène nulle part.
Le thème de l’amour et scandale dans l’église fut très en vogue dans la deuxième moitié du siècle XIXe, avec des romans très illustres comme ‘La faute de l’abbé Mouret’ de Zola, ‘Le crime du Père Amaro’ de Eça de Queiros, et ‘La régente’ de Leopoldo Alas Clarín. ‘Tormento’ est la collaboration Galdosienne.
En plus d’une introspection psychologique très poussée, et d’un développement dramatique très fin et réussi des personnages principaux, ce magnifique roman fait aussi la présentation du personnage de Rosalía Pipaón, sans doute une des meilleures créations de l’écrivain, incarnation de cette classe moyenne qui aspirait à devenir bourgeoisie, mais qui essayait par tous les moyens de cacher qu’elle vivait à deux doigts de la misère. Ici, Rosalía est l’antagoniste de l’honnête Amparo, mais sera la protagoniste du suivant roman de Galdós, ‘La de Bringas’.
Les personnages de Pedro Polo, Amparo, et sa sœur Refugio étaient présentés dans ‘El doctor Centeno’. ‘Tormento’ poursuit une sorte de petite trilogie qui s’achève avec le suivant roman de Galdós, ‘La de Bringas’. Les trois romans sont indépendants mais cela peut être intéressant de les lire dans l’ordre d’écriture.
Pérez Galdós, un génie très méconnu :
Probablement l’écrivain espagnol le plus réputé après Cervantes, le travail de ce génie du XIXe siècle est très méconnu dans l’univers Francophone, et donc très peu traduit. C’est bien dommage car il s’agit d’une œuvre gigantesque de dimensions Balzaciennes, autant par le volume que pour la qualité littéraire : ‘Fortunata et Jacinta’, ‘Miaou’, ‘Miséricorde’, ‘Doña Perfecta’, ‘Trafalgar’ sont seulement quelques romans remarquables parmi une œuvre colossal à tous les niveaux.
Dans la plupart de l’œuvre très prolifique de Pérez Galdós on retrouve une grande perspicacité psychologique qui nous permet de capter, par le biais d’un nombre incalculable de personnages, l’essence de l’humain et les inquiétudes de l’homme (et la femme) espagnol du XIXe siècle. D’un côté la classe moyenne, souvent décrite avec des airs de supériorité vis-à-vis des classes moins favorisées, mais tiraillée par une profonde angoisse de la perte de privilèges, et de la chute social et économique qui menacent toujours à l’horizon. Les classes plus populaires sont travaillés avec de la profondeur et de l’ironie, mais aussi avec tendresse et compassion. Le riche a peur de devenir pauvre, et le pauvre a peur de rester dans la pauvreté. L’utilisation des dialogues souvent vulgarisés, et des tournures de phrases très populaires, aide à comprendre ce côté « voix du peuple » qu’on a souvent associé à Galdós. Son style sobre, directe et épuré, recherchant le naturel au-dessus de tout artifice, n’est pas exempt d’un phrasée créatif et poétique et d’une richesse lexique fabuleuse.
La capacité de travail, la facilité et le talent pour l’écriture de Galdós sont évidentes quand on voit qu’il a écrit plus de 80 romans, environ 30 pièces du théâtre, des incalculables essais et publications, et a dirigé plusieurs magazines spécialisés, en plus de devenir député libéral pendant des nombreuses années. Naturaliste, costumbrista et réaliste à parts égales, Galdós connait très bien l’Espagne et connait aussi très bien la nature humaine. Son travail sur le côté misérable autant que sur le côté lumineux de l’être humain, couplé avec le réalisme de la société représentée, et l’incroyable finesse et diversité de ses personnages féminins, nous permet de situer ce géant de la littérature espagnole quelque part entre Zola et Balzac, et sans doute dans le panthéon des plus grands écrivains européens de la deuxième moitié du XIXe siècle.
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