(Barndom, 1967)
Traduction : Frédéric Durand. Langue d’origine : Danois
⭐⭐⭐⭐
Ce que raconte ce roman autobiographique :
Première partie des mémoires de l’écrivaine danoise Tove Ditlevsen, consacrée à son enfance, qui n’a pas été très heureuse dans ses souvenirs. Très consciente de sa différence avec ses pairs et son entourage, Tove peine à se sentir aimée par sa mère, une femme acariâtre et froide, qui n’est pas capable d’exprimer la moindre affection pour la jeune fille. La seule façon d’échapper à un quotidien morne et insipide est à travers de la poésie qu’elle écrit en cachette dans son journal intime. Fille différente, enfance malheureuse :
Fille différente, enfance malheureuse :
Les deux premiers volumes des mémoires de Tove Ditlevsen, ‘Enfance’ (‘Barndom’) et ‘Jeunesse’ (‘Ungdom’), furent édités ensemble en français sous le titre ‘Printemps précoce’. Ces deux volumes, écrits en 1967 retracent l’amère existence de la jeune Tove, dès son enfance à ses premières expériences professionnelles. Le troisième volume, ‘Dépendance’ (‘Gift’, titre original en danois qui rappelle autant le mariage que le poison) fut publié quatre années plus tard, en 1971, et il raconte la frustration de Tove lors de ses trois premiers mariages. Il fut traduit en français sous l’absurde titre de ‘Cherche mari’. Après une existence difficile marquée par la dépression et les addictions, Ditlevsen se suicida en 1976.
C’est à environ 50 ans, que Ditlevsen rédige ces mémoires, trois volumes qui composent probablement son travail le plus acclamé. Après des traductions récentes de la trilogie de Copenhage en plusieurs langues, notamment en anglais, l’œuvre de l’écrivaine danoise s’est offert, à juste titre, une nouvelle jeunesse. Le premier volume, ‘Enfance’, est une étude sur les conséquences d’une enfance marquée par le manque d’amour et d’attention, et par la détermination d’écrire comme à seul moyen pour s’élever. C’est un ouvrage difficile par son contenu plutôt dur et déprimant, mais qui est totalement brillant par la capacité à décrire cet entourage sous une optique originale, ressentie et absolument créative.
‘Enfance’ n’est pas seulement un titre ou un repère chronologique. L’enfance est un personnage à part entière ici, probablement l’antagoniste, le grand ‘méchant’ de l’intrigue. L’enfance est souvent décrite avec des traits humains, même Tove dialogue parfois avec elle, pour lui demander des comptes. Pourquoi elle n’est pas en accord avec son enfance tandis que les autres enfants sont plus en phase avec les siennes ? Tous ces états d’âme entre Tove et son enfance donnent lieu à des réflexions intéressantes et uniques, comme par exemple : « Quelle que soit votre façon de tourner, vous vous heurtez à votre enfance parce qu’elle est anguleuse et dure, et elle ne s’arrête que lorsqu’elle vous a complètement déchiré. »
Le style de Ditlevsen est relevé et littéraire mais facilement accessible. ‘La trilogie de Copenhague’ a quelques points en commun avec les mémoires de la néozélandaise Janet Frame, qui les publia aussi en trois volumes compilés sous le titre générique de ‘Un ange à ma table’, qui aussi avait une existence difficile par la propre conscience d’être différent, et qui utilisait aussi l’écriture de poèmes comme à seul moyen d’échapper à une réalité difficile. Mais les similitudes s’arrêtent là. Tandis que l’œuvre de Frame est centrée totalement sur elle-même, le travail de Tove est un prodige de perspicacité et d’observation des personnes de son entourage. Ce roman autobiographique est caractérisé par une remarquable introspection psychologique, et aussi, par un sens très pointu de l’analyse sociologique.
Narré à la première personne par la jeune enfant Tove (mais écrit à 50 ans ne l’oublions pas), son regard sera toujours teint d’une certaine perplexité et incompréhension, et marqué par son incapacité de s’adapter à la société qui l’entoure. L’ambiance morne sera présentée toujours tamisée par le filtre de l’enfant-narrateur, mais à travers ses mots le lecteur va déterrer toute la réalité. On trouve donc dans ce livre un mélange de deux niveaux de réflexion : Tove-enfant sera souvent perdue, déroutée, et à côté de la plaque, tandis que Ditlevsen-écrivaine propose un regard de grande acuité, une vision profonde et un recul très solide sur son propre vécu. Cette double approche narrative fait de ’Enfance’ un régal de lecture.
C’est triste à souhait, mais aussi tendre et émouvant, et d’un point de vue littéraire c’est tout simplement fascinant.
Citation :
« Je déclarai joyeusement : ‘Je veux aussi être poète.’ Aussitôt, il fronça les sourcils et dit sur un ton menaçant : ‘Ne te monte pas la tête ! Une fille ne peut pas être poète.’ Vexée, blessée, je me refermai sur moi-même, cependant que ma mère et Edwin éclataient de rire en entendant cette invention ridicule. Je décidai de ne plus jamais confier mes rêves à qui que ce soit, décision à laquelle je me suis tenue tout au long de mon enfance. »
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