(2007)
Langue d’origine : Français
⭐⭐⭐
Ce que raconte ce ce récit autobiographique :
Carrère entremêle trois histoires autobiographiques :
D’abord, il reprend l’histoire d’un paysan hongrois capturé vers la fin de la deuxième guerre et renfermé en Russie, mais ne sachant parler le russe, sa détention a tombe dans un vide bureaucratique qui l’a fait durer plus de 50 ans. Après un documentaire sur le sujet, Carrère voyage à nouveau dans un village paumé en Russie pour en découvrir plus.
En parallèle, il raconte sa vie personnelle et sa relation avec Sophie, complètement bouleversé par la publication d’un conte érotique que Carrère lui dédie naïvement, en guise de surprise. Mais l’échec du « cadeau » est retentissant et, suite à des malentendus à répétition, le couple est poussé jusqu’à l’incommunication, le cauchemar, et la rupture.
Puis Carrère raconte la vie de son grand-père maternel, Georges Zourabichvili, un homme sombre dont la vie est remplie de noirceur, et qui sera exécuté en France peu après la libération. L’histoire de son grand-père a fortement perturbé la mère de Carrère, et hante aussi l’écrivain.
Nombrilisme bien écrit :
Comme d’habitude chez Carrère depuis ‘L’adversaire’, le récit est totalement autobiographique : L’écrivain se met en scène, et cette fois il ne reste pas dans l’arrière-plan (comme dans ‘D’autres vies que la mienne’), sinon que fait figure centrale, surtout dans l’histoire de couple qui sombre dans l’incommunication.
Livre assez irrégulier et décousu, vaguement relié par ses origines russes qui interpellent l’écrivain le long du récit, mais rempli quand même de moments très brillants. Belles descriptions et personnages dans le village russe paumé, où rien ne semble se passer ; et aussi beaucoup de tendresse dans le portrait de Sophie, femme fragile et dépassée peut-être par la personnalité de l’écrivain avec qui elle est en couple.
Mais la part forte du récit est l’auto introspection psychologique : Carrère se livre entièrement et sans retenue et n’hésite pas à se présenter en être froid et détestable, avec toutes ses failles et ses torts. Cela crée paradoxalement une étrange empathie, produite sans doute par la sensibilité et la finesse du récit, et pour le courage de se mettre à ce point à nu devant ses lecteurs. C’est torturé et souvent gênant, mais en aucun cas cela sonne faux ou creux.
Évacuer ses problèmes personnels dans l’écriture est une pratique d’autoanalyse qui peut être perçue comme assez égotiste, mais Carrère arrive à réussir son pari, au moins en une bonne partie. Même si on arrive à le détester par des nombreux moments, le récit reste vivant et authentique. C’est quand même fort probable que pas tout le monde adhère à un livre assez nombriliste et égocentré, ainsi bon soit-il.
Citation :
« Mon grand-père aurait maintenant plus de cent ans, et il est très probable qu’il a été abattu quelques heures, quelques jours ou quelques semaines après sa disparition. Mais pendant des années, pendant des dizaines d’années, ma mère s’est efforcée – ou interdit, mais c’est pareil – d’imaginer l’inimaginable : qu’il vivait quelque part, qu’il était prisonnier peut-être, qu’un jour il reviendrait. Aujourd’hui encore, je le sais parce qu’elle me l’a dit, il lui arrive de rêver de son retour. »
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