(República luminosa, 2017)
Traduction : François Gaudry. . Langue d’origine : Espagnol
⭐⭐⭐⭐
Ce que raconte ce roman :
San Cristobal, Pérou, 1993, un fait divers bouleverse le pays. Vingt années après les faits, un homme remémore ces évènements étranges dont il fut témoin directe. Jeune travailleur social, notre narrateur obtint une mission dans San Cristobal, une pittoresque petite ville au fond de la forêt amazonienne, dont sa femme était originaire. Bientôt le quotidien de cette bourgade paisible sera perturbé par la présence de 32 enfants de rue dont l’origine semble inconnue. Les enfants parlent une langue étrange, ne semblent avoir aucun chef ni organisation claire et disparaissent dans la jungle voisine dès la tombée de la nuit. Au début des vols furtifs et des petits incidents ne semblent pas déclencher trop l’alarme, mais bientôt la situation vire au drame.
Le mystère des 32 enfants inquiétants :
Fabuleux roman porté par un mystère complexe et sociologiquement profond qui est à la fois envoutant et inquiétant pour le lecteur. Au cœur du récit on trouve l’idée rousseauiste de base : l’enfant est innocent par nature et il ne peut pas être puni par ses crimes comme un adulte, la société doit les comprendre et les accompagner. Mais dans le roman, ces enfants inquiétants s’alignent plus sur l’idée cartésienne : l’enfant sans la société qui le contrôle peut devenir méchant et dangereux, un peu dans la lignée de ‘Le seigneur des mouches’. Ces 32 enfants feront virer la torpeur moite de cette enclave amazonienne vers un quotidien de plus en plus rempli de noirceur et méfiance.
Les habitants du coin hésitent à mettre des mots trop blessants ou à de prendre des mesures trop radicales, puisqu’après tout ce ne sont que des enfants. Pendant longtemps les adultes semblent regarder ailleurs pendant que le drame se déroule de façon flagrante devant ses yeux. Et l’affrontement entre les gens du village et ‘eux’ ne va faire que s’accroitre. Lors que les propres enfants du village commencent à sympathiser de façon étrange avec ces enfants sauvages, les adultes n’auront plus d’option que de regarder en face une réalité qui ont voulu ignorer trop longtemps. C’est peut-être autour de cette réflexion sociologique que le roman est le plus brillant. Cet entêtement des adultes à croire malgré tout en l’innocence de l’enfance.
Malgré ces postulats sociologiques, le roman n’est pas du tout perché, bien au contraire, il est porté d’une façon magistrale par son rythme assez soutenu et par la mécanique implacable de son intrigue, dosant en compte-gouttes les rebondissements, et dévoilant les pièces du puzzle au fur et à mesure avec une précision chirurgicale, avec le recul qui donnent les 20 ans écoulées après les faits. A la façon d’un García Márquez, le livre fait souvent de l’auto-spoiler (Par exemple, la première phrase dévoile d’emblée que les 32 enfants sont morts), mais on reste accrochés tout de même. ‘Une république lumineuse’ se dévore (J’ai lu ses presque 200 pages d’affilé en une seule soirée), c’est très prenant, inquiétant et perturbant. Sans spoiler, certaines parties du mystère vont s’expliquer petit à petit mais le postulat de base restera dans le brouillard et honnêtement, c’est très bien comme ça.
Le seul hic que je peux trouver dans ce livre est un certain manque de profondeur psychologique dans les personnages principaux qui aurait peut-être aidé à étoffer le mystère. Mais d’un autre côté, cette absence de personnalités remarquables contribue sans doute à homogénéiser la communauté, pour faciliter la réflexion sociétale globale. Le langage est sobre et simple sans absolument aucune fioriture littéraire, mais quand même avec quelques belles tournures de phrases et citations remarquables. Dans tout le cas c’est un travail fin et profond, qui élève presque sans effort apparent le genre fantastique au niveau de la très bonne littérature.
Brillante et prenante fable sociologique, écrite par un auteur totalement à suivre.
Citation :
« Dans certaines situations il est tellement évident ce qu’on doit ressentir qu’il est invraisemblable de ne pas arriver à le ressentir. »
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