(Yentl the Yeshiva boy, 1963)
Traduction : Marie-Pierre Bay. . Langue d’origine : Anglais
⭐⭐⭐⭐
Ce que raconte cette nouvelle :
Pologne. Yentl est une jeune enfant appartenant à la communauté juive ashkénaze traditionnelle. À différence des autres filles de son village, Yentl ne rêve pas de mariage. Assoiffée de connaissances, elle étudie le Talmud avec son père dans le plus grand secret, car les études sont réservées aux hommes. À la mort de son père, Yentl décide de couper ses cheveux, s’habiller comme un garçon et prendre un nouveau prénom : Anshel. Elle quitte son village pour la ville, avec l’intention d’accéder à une Yeshiva (école religieuse réservée aux garçons) où elle pourra poursuivre ses études, toujours dans le secret de son déguisement. Yentl/Anshel rencontre le bel Avigdor, un étudiant qui, à force de discuter sur le Talmud et les textes de loi, deviendra très vite son meilleur ami. Yentl/Anshel se trouvera impliquée dans un complexe jeu d’émotions lorsqu’elle apprend qu’Avigdor est amoureux d’une jeune fille, Hamass, mais leurs fiançailles ont été rompues.
Plaidoyer féministe dans la communauté juive traditionnelle polonaise :
Courte mais puissante nouvelle qui met en jeu la ficelle classique de la femme qui se déguise en homme pour pouvoir réaliser ses rêves, mettant en évidence les inégalités flagrantes entre les hommes et les femmes quand qu’à leurs choix de vie. Refusant de vivre selon ce qui est attendu pour une femme de son époque, Yentl prend en main sa destinée, et rejette tout ce qui a été tracé pour elle. C’est donc un récit clairement féministe mais qui véhicule ce message avec discrétion et finesse, se centrant plutôt sur les côtés émotionnels de l’histoire.
Car Yentl/Anshel a des hésitations qui grandissent le long du récit. Elle ne veut pas de mari, déteste la cuisine et abhorre l’idée de se retrouver à repriser les chaussettes de son homme. Profondément croyante, Yentl a une vraie soif de connaissance des préceptes religieux et légaux. Sauf que dans le Talmud qu’elle adore tellement, une femme qui prend un déguisement d’homme est clairement en train de pêcher. D’un côté elle rêve de mener sa vie comme elle l’entend et cela est seulement possible en tant qu’homme, mais de l’autre côté, elle sait qu’elle en train d’avancer vers l’abîme de sa perdition.
Ce dilemme entre le désir et la foi sera le centre de la réflexion de la nouvelle. Avec très peu de pages mais une énorme densité d’action et rebondissements, la vie de Yentl entrera dans un conflit permanent dès que l’amour se mêlera au simple souhait d’une instruction religieuse. Le sous-tonalités homosexuelles de l’histoire ne seront pas vraiment abordés par Singer, ni dans un sens ni dans un autre, la confusion des sentiments restant seulement confusion.
En 1983, Barbra Streisand réalisa une belle adaptation cinématographique en forme de musical, avec des chansons de Michel Legrand fabuleusement interprétées par la star elle-même. Streisand joua aussi le rôle-titre avec conviction même si un peu dans la limite de la crédibilité par le rapport d’âge très disparate qu’elle avait avec le personnage, la alors quarantenaire Streisand incarnant un jeune étudiant adolescent. Moins subtile que la nouvelle, le film accentuait les côtés comiques de l’histoire, et réussissait à véhiculer bien ce dilemme entre foi et désir, même s’il devenait beaucoup plus poussif et convenu lors qu’il traitait le sujet du féminisme.
‘Yentl’ fut publié en 1963 dans un recueil de nouvelles qui s’appela ‘Le Dernier Démon’ (‘Short Friday and other stories’), puis, après le succès du film, fut réédité dans le recueil ‘Yentl et d’autres nouvelles’, et aussi en solitaire. C’est une magnifique nouvelle dans toute sa simplicité.
Citation :
« Je veux étudier le Gémara et ses commentaires avec toi, pas repriser tes chaussettes. »
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