(The Narrow Road to the Deep North, 2013)
Traduction : France Camus-Pichon. Langue d’origine : Anglais
⭐⭐⭐⭐
Ce que raconte ce roman :
Australie, 1941. Dorrigo Evans, officier médecin de l’armée, vient de tomber amoureux d’Amy, la femme de son oncle, qu’il a connu par hasard dans une librairie. Mais la guerre éclate et Dorrigo est envoyé à Siam avec son bataillon. Capturés pour les japonais, Dorrigo et ses soldats devront vivre dans un champ de prisonniers dans des conditions déplorables, tandis qu’ils sont mobilisés en pleine jungle pour travailler dans un projet pharaonique : La construction d’un chemin de fer qui devrait traverser l’Orient, facilitant l’accès des japonais à travers le Siam jusqu’à l’Inde du Raj, ce qui ferait osciller la guerre à la faveur nippone. Pour Dorrigo ce projet insensé et ce quotidien infernal ne font sinon accentuer le souvenir de la douce Amy, seul chose qui le tient en vie, jusqu’à qu’un jour il recevra une lettre avec des nouvelles d’Australie.
Le chemin de fer de la mort :
Attention, cette épopée historique et romantique n’est pas si facile à lire qu’elle n’en a l’air. Notamment tout au début, le récit s’entremêle et complique plusieurs fois. Il y a énormément d’aller-retours dans le passé, flashforwards avec Dorrigo en vieil officier multi-décoré, héros de guerre, mais intérieurement dévoré par tous ses démons. Le récit s’entrecoupe aussi avec des scènes ahurissantes des autorités japonaises qui débattent leur projet de chemin de fer, tandis que l’un d’eux cherche des cous luisants pour pratiquer son passetemps favori, la décapitation de POW (prisoniers of war).
Oui, c’est un roman dur et parfois insoutenable, le passage des prisonniers de guerre qui bâtissent le chemin de fer en Birmanie, devient le noyau narratif central, et ce période s’étend sur presque deux tiers du livre. C’est très réaliste, les conditions de vie affreuses sont décrites avec tout luxe de détails et Flanagan ne ménage pas le moindre le lecteur, ni la crasse, ni la violence, ni l’enfer généralisé lui sont épargnés. C’est hard. Âmes sensibles devront peut-être s’abstenir. Pour écrire ses pages, Flanagan s’en est inspiré de la vie de son propre père qui, prisonnier des japonais, fut affecté dans ce travail effroyable pendant la guerre. Le récit se base sur des faits réels donc.
Narrativement parlant, après ces débuts un peu chaotiques, les aller-retours commencent à se calmer, moins d’alternances de temps facilitent la lecture et le récit se suit plus facilement, même s’il gardera toujours un petit côté puzzle narratif avec des mystères qui vont s’élucider petit à petit. Porté par quelques rebondissements intéressants, le livre navigue entre l’épopée romantique et le roman de guerre, sans jamais décider entre les deux. Cela reste un roman plutôt masculin. Les femmes sont intéressantes et bien décrites en tant que personnag
es, mais en général sa présence permet de développer les personnages masculins. Ce déséquilibre et le petit chaos qu’on trouve dans les premières 100 pages du livre sont les deux seuls reproches que je peux faire à ce roman qui est par ailleurs absolument merveilleux et touchant. Franchement, c’est quoi cette couverture française avec cette jolie fille dans une piscine ? Gros n’importe quoi. Ne vous méprenez pas, c’est un livre dur et triste. La thématique reste claire : les traumatismes produits par la guerre risquent de ne jamais guérir, et laisser les survivants dans l’affreuse solitude de ses démons. Très émouvant.
Prix Booker 2014.
Citations :
« Voilà peut-être ce qu’est l’enfer, concluait Dorrigo, une répétition éternelle du même échec. »
« (…) plus je vois de monde, plus je me sens seul. »
« Un homme heureux n’a pas de passé, un homme malheureux ne possède rien d’autre. »
« Elle n’avait qu’une envie : partir, devenir quelqu’un d’autre, ailleurs, se mettre en mouvement et ne jamais s’arrêter. Et pourtant plus cette part secrète d’elle lui hurlait de s’en aller, plus elle se rendait compte qu’elle était prisonnière d’un seul lieu, d’une seule vie. Or Amy Mulvaney aurait voulu mille vies, et surtout qu’aucune d’elles ne ressemble à la sienne. »
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