(Leaves of the banyan tree, 1979)
Traduction : Jean-Pierre Durix. Langue d’origine : Anglais
⭐⭐⭐⭐⭐
Ce que raconte ce roman :
Le village de Sapepe à Samoa, au début du XXe siècle. Tauilopepe, le chef de son aiga (maison ancestrale des familles de pouvoir), est dominé par l’ambition de devenir l’homme le plus puissant du village. Avec effort et malignité, Tauilopepe fait face à une maison rivale, le aiga Malo, dans le but de prendre le contrôle politique, religieux et sociale et pouvoir mettre à l’œuvre sans entraves ses idées de développement pour son exploitation, qui devraient poser les bases d’une future Samoa plus prospère. Au fur et à mesure que Tauilopepe réussit ses ambitions, il semble s’éloigner de plus en plus des valeurs traditionnelles de partage et sérénité ancrés dans la culture Samoane.
Saga Samoane sur l’ambition et la perte de valeurs :
Fascinante épopée familière aux teints feuilletonesques, qui s’étale sur trois générations, le long d’une cinquantaine d’années, jusqu’aux années 70. ‘Les feuilles de Banian’ nous donne un brillant aperçu de la culture Samoane et les bouleversements auxquels elle a été soumise pendant ce période de forte occidentalisation.
Le thème principal du livre pourrait être celui de l’ambition, mais c’est un long roman qui traite énormément de sujets, principalement centrés dans le bouleversement entre le vieux et le nouveau monde. L’univers traditionnel est présenté comme plus profond, humain et généreux, tandis que le monde moderne est souvent montré comme superficiel, égoïste et sans valeurs. Mais Wendt est un fascinant auteur, et il prend bien soin de ne pas tomber dans la caricature ni dans le manichéisme. Tous les personnages ont de failles, incarnant souvent une position par rapport à ce conflit entre tradition et modernité.
Le protagoniste, l’ambivalent Tauilopepe, est poussé par un désir de progrès, qui petit à petit va se teindre d’ambition mégalomaniaque. Il négligera famille et amis et tyrannisera son entourage. Tout passera dans l’autel de l’ambition, laissant tout un sillage de désespoir, frustration et tragédie qui reviendra hanter notre anti-héros une fois et une autre. Son fils Pepe, qui narrera à la première personne la deuxième partie du livre (sans doute la plus complexe), est un contrepoint absolu de son père et exercera de miroir de l’absurdité de tout le conflit générationnel et social. Sans spoiler, dans le troisième et dernier volet, un troisième personnage fera éclater les enjeux, poussant la réflexion autour de l’impact du progrès sur la tradition.
Les femmes, à l’image de la société patriarcale traditionnelle, ne seront jamais moteur de l’intrigue, et même elles disparaitront souvent des pages (comme les deux filles de Tauilopepe), pour laisser la place aux acteurs masculins et leurs manigances pour se forger une destinée. Les femmes du livre sont quand même des personnages bien ficelées et travaillées, et c’est peut-être réaliste par rapport aux équilibres de la société samoane de l’époque, mais ce manque d’impact des personnages féminins sur le déroulé de l’histoire fait un peu tâche, et c’est le seul hic que je trouve à ce livre.
Les personnages occidentaux du livre ne participeront pas plus dans l’intrigue, l’homme blanc, souvent dépeint comme cupide, hypocrite et corrompu, se limite de profiter de la propre capacité des Samoans pour se détruire les uns aux autres en nom de la religion, et saccader et pourrir son propre héritage. Wendt ne se cache pas, le livre est un plaidoyer contre la déchéance provoquée par l’entrée des mœurs occidentales dans la culture Samoane. L’ambition de Tauilopepe est menée par ces nouveaux valeurs : L’égoïsme, l’argent, le cynisme et la réussite à tout prix. L
es thèmes du livre et l’haleine tragique des personnages me font énormément penser aux livres de Ngugi Wa Thiong’o, auteur kenyan qui touchait aussi le conflit de l’aborigène face à la colonisation, et ce dilemme entre la tradition et la modernité, entre matérialisme et spiritualité. J’en suis persuadé, si vous aimez Ngugi, Wendt est pour vous.
Citations :
« La vanité qui git à notre intérieur nous converti en prédateurs de nous-mêmes et de toute autre créature vivante. On se doit de guérir de ce nous, détruire cet amour de soi. Si on ne le fait pas on continuera à excréter notre propre destruction. On est capable de tellement plus de beauté. »
« Elle se rendit compte que ce que lui appelait amour ce n’était pas de se donner mais plutôt de prendre et formater à son image tout ce qui était à sa portée. »
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