Littérature des 5 continents : AustralieOcéanie

Ma brillante carrière

Miles Franklin

(My brilliant career, 1901)
Traduction :   Nelly Lhermillier.   Langue d’origine : Anglais
⭐⭐⭐⭐

Ce que raconte ce roman :

Australie, dans le Outback, à la fin du XIXe siècle. La famille Malvyn déménage dans une ferme agricole à Possum Gully, dans l’espoir de trouver un futur dans le commerce de bétail. Mais l’exploitation ne prend pas, le travail est trop dur, tous les enfants sont mis à la tâche, la vie est misérable et le père sombre dans l’alcool. Sybylla Melvyn, l’ainé, n’est pas faite pour cette vie de travail acharné, sans aucune nourriture pour l’esprit. À seize ans, épuisée de ces journées de travail infinies, elle rêve de livres, des théâtres et d’une vie plus cultivée et joyeuse, elle se sent déplacée et différente des autres filles qui l’entourent, qui acceptent leur sort, vaguement pensant à un mari qui les sortirait de l’impasse.

Quand la famille se disloque, la mère envoie Sybylla chez sa grand-mère en ville, avec l’espoir de la marier et pouvoir s’en débarrasser. Sybylla ne souhaite pas du tout se marier, mais sa nouvelle vie de bourgeoise va ouvrir ses yeux. Elle respire.

Jane Austen en Australie :

Roman à tonalité profondément féministe, notamment par l’époque (Publié en 1901), est aussi d’une incroyable modernité dans le portrait de cette adolescente en crise, qui cherche le bonheur sans arriver à savoir exactement comment. Sybylla aurait parfaitement pu être une héroïne d’un roman de Jane Austen si la romancière anglaise avait vécu à cette époque et endroit.

Le rapport entre Sybylla et son sweetheart sera très unique et pétillante, les dialogues sont un pur bonheur, ils se renvoient des piques sans arrêt et les remarques witty (cela se traduit par vaniteux mais n’a pas le même effet), fusent des deux côtés. Les dialogues sont très intelligents, et ce qui est étonnant c’est de réaliser que ce roman a été écrit par une jeune femme de moins de 20 ans (21 au moment de la publication). Donc, cela reste un roman romantique, relativement prédictible, dans lequel l’orgueil et la vanité jouent avec nos protagonistes, incapables de concrétiser cette histoire d’amour, un peu à la façon de « Pride and Prejudice » d’Austen. Sauf qu’ici, on est dans un nouveau volet de la cause féministe : Sybylla veux se vaudre pour elle-même, elle refuse de se décrire par rapport à un homme, aussi merveilleux soit-il.

L’expression « Ma brillante carrière » est une réflexion ironique, utilisée au début du roman, quand elle vit malheureuse dans le Outback et rêve déjà d’une autre chose (Voir citation en bas). Elle voit sa jeunesse gâchée, projetée inlassablement jusqu’à sa vieillesse, toute ces journées perdues, se déroulant toujours selon le même schème, travail/Dodo, sans aucune possibilité d’épanouissement de son esprit. Elle ironise sur cette vie comme sa « brillante » carrière, car elle rêve de faire quelque chose d’autre de sa vie.

Le personnage est fascinant. Un jeune ado élancé, impétueuse, rebelle, avec une remarquable soif d’éveil, orgueilleuse et souvent snob. La vision des paysans comme simples abrutis est fréquente, jusqu’à qu’elle réfléchira et découvrira qu’ils sont peut-être mieux qu’elle, et qu’elle est tout simplement destinée à d’autres choses. Donc un côté gamine très effronté et capricieux, coexiste avec un côté très adulte et posé, le tout dans un personnage complexe, symbole de toute une génération de jeunes filles en claire rupture avec la génération précédente. Les rapports odieux avec sa mère ne sont pas un hasard.

Ce roman à forts teints autobiographiques fut un succès en Australie au début du siècle, et finit par se retourner contre l’écrivaine, qui ne cessait pas de se défendre de voir sa vie interprétée comme si tout ce qui était dans le livre était réel. Mortifiée, elle réussit à retirer le livre de la circulation, et ce n’est qu’après sa mort que le livre fut réédité et connu un nouveau succès, cette fois plus international. Comme beaucoup des femmes écrivaines, Franklin écrivit toujours avec ce nom d’emprunt masculin « Miles ». Une suite des aventures de Sybylla fut écrite immédiatement après (1902), mais, pareil, ne fut publié que 30 ans plus tard.

Dernière remarque. Vous aurez peut-être entendu parler des tendances fascistes de Miles Franklin et de sa passion pour le régime nazi. C’est bien dommage que l’évolution de cette jeune fille au talent stupéfiant ait pu déborder 30 années plus tard dans un sombre personnage qui faisait claire apologie du fascisme et de la pureté de la race. Rien dans ce premier roman ne laissait pressentir cela. Donc essayez de rester ouverts et ne jugez pas la jeune écrivaine adolescente par les affinités douteuses de la femme qu’elle devint. C’est un magnifique roman, dont le féminisme assumé reste très osé pour l’époque.


Citation :

« C’était la vie – c’était là ma vie – ma carrière, ma brillante carrière ! J’avais quinze ans – quinze ans ! Quelques fugitives heures et je serai aussi âgée que ceux qui m’entouraient. Je les regardais tandis qu’ils se tenaient là, debout et fatigués, sur l’autre versant de la vie. Jeunes, sans doute avaient-ils espéré et rêvé de choses meilleures – peut-être les avaient-ils connues. Mais voilà où ils en étaient. Voilà ce qu’avait été leur vie. Voilà quelle était leur carrière. »

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