(El túnel, 1948)
Traduction : Michel Bibard. Langue d’origine : Espagnol
⭐⭐⭐⭐
Ce que raconte ce roman :
Juan Pablo Castel est un artiste-peintre qui a commis un meurtre et qui a envie de nous raconter comment cela s’est produit. Un jour lors d’une exposition, Castel voit une femme qui regarde attentivement une partie d’un de ses tableaux : Une fenêtre avec une femme qui regarde dehors. Pour Castel est un signe, car elle est la seule à avoir compris le sens du tableau, et il voit en elle quelqu’un d’égal à lui. Après une première rencontre, il tombera amoureux d’elle de façon extrême. Ses obsessions feront que le plus simple des bonheurs devienne source de multiples angoisses.
L’angoisse de l’inatteignable :
« Suffira de dire que je suis Juan Pablo Castel, le peintre qui a tué Maria Iribarne », Castel avoue son crime dès la toute première phrase du roman. Il s’en suit un long monologue à la première personne dans lequel Castel (et peut-être quelque part Sábato lui-même) nous libre toute sa pensée, toutes ses angoisses et obsessions, au fur et à mesure qu’il sombre dans l’anxiété la plus totale.
Car Juan-Pablo Castel est un névrosé extrême. Seul et incompris, centré sur lui-même, il déteste absolument tout le monde, même les critiques qui visiblement l’adorent. Pour Castel tout est médiocrité, l’être humain est mesquin et misérable (Voir citation plus bas). Il voit sa vie comme un tunnel infini, avec quelques ouvertures à l’extérieur qui lui montrent la vie des autres, mais sans pouvoir interagir avec eux et sans aucun croisement possible avec personne. Lorsqu’il voit María Iribarne interpelée par la même partie du tableau que lui obsède, il croit avoir trouvé son égal, il voit en elle un salut, une personne que le comprendra et lui permettra de sortir de la solitude de son tunnel. Suivant cette logique simple, il tombera amoureux sur le champ.
Le long de cette histoire d’amour, Castel échafaudera mille stratagèmes, analysera et décortiquera jusqu’à l’obsession chaque mot, chaque infime geste de María, en les interprétant toujours négativement. Castel est incapable de voir le bon ou de profiter de la vie. Les très épars instants de bonheur de ce couple seront gâchés par ses obsessions, qui très vite vont virer dans une jalousie incontrôlable vis-à-vis de María. La relation tourne au cauchemar.
Leur histoire est marquée par une profonde incommunication. Lui en dit trop et elle en dit trop peu. Castel débite mille questions par seconde et tourne leurs rapports en interrogatoires. De son coté, María restera toujours évasive et mystérieuse, sans jamais vraiment se dévoiler, ce qui exaspèrera Castel d’avantage. Castel est en permanence entre la réalité et l’intuition, en prenant toujours la dernière comme la vérité. Tous ses analyses obsessionnelles visent à confirmer ses hypothèses. Du coup, quand la réalité s’impose, c’est toujours la déception. Et après chaque déception il commencera à échafauder des nouveaux plans basés sur une nouvelle intuition, qui deviendra à son tour une nouvelle chute des illusions. Ce roman semble parler principalement de la quête de l’inatteignable qui mène au désespoir.
Sábato n’aimait pas l’idée d’écrire avec des significations claires, il disait souvent qu’il écrivait ce qu’il ressentait sans se poser des questions concrètes sur ce qu’il voulait dire. Donc je m’abstiendrai, comme le font certaines critiques de ce livre, d’associer des personnages ou des faits de ce livre à des symboles concrets. Notamment pour le personnage de María, c’est trop tentant de lui attribuer un seul sens d’interprétation, mais je pense que la volonté de l’auteur est de rester beaucoup plus ouvert. Mais en tout cas, c’est clair que cela interpelle et fait réfléchir, et pas besoin d’être calé en philosophie pour profiter de ce roman existentialiste, sombre et pessimiste. Cela se lit très facilement, porté peut-être par une structure de faux polar, qui contraste avec son coté réflexion métaphysique.
Premier roman de Ernesto Sábato, ‘Le Tunnel’ devint un phénomène littéraire de sa parution en 1948, influençant visiblement des auteurs divers comme Camus ou Greene, par son existentialisme très accessible et intelligent.
Citation :
« Je retournai chez moi avec la sensation d’une solitude absolue. Généralement, cette sensation d’être seul au monde s’accompagne d’un orgueilleux sentiment de supériorité : je méprise les hommes, je les vois sales, laids, incapables, avides, grossiers, mesquins. Ma solitude ne m’effraie pas, elle est pour ainsi dire olympienne. »
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