(Jakob von Gunten, 1909)
Traduction : Marthe Robert. Langue d’origine : Allemand
⭐⭐⭐
Ce que raconte ce roman :
Jacob von Gunten est un jeune homme issu d’un milieu favorisé, qui quitte volontairement sa famille et ses privilèges pour intégrer l’institut Benjamenta, un modeste pensionnat pour des jeunes garçons où le seul objectif est de leur apprendre à être dociles et obéir. M. Benjamenta, dirige l’institut avec main de fer, tandis que sa sœur Lise, beaucoup plus douce, tient un rôle maternel. Mais l’institut est en pleine perte de prestige, et semble s’acheminer vers la décadence.
Réflexion sur la soumission :
‘L’institut Benjamenta’, classique de la littérature suisse en langue allemande, soulève plein de questionnements, et déroute par l’étrangeté de son ambiance et thématiques. ‘Les désarrois de l’élève Törless’ de Robert Musil, publié en 1906, semble être une source d’inspiration claire, et les deux ouvrages partagent un sentiment très perturbateur de l’éducation et l’encadrement scolaire. Dans l’œuvre de Walser, le livre se teint aussi d’un ton crépusculaire et par moments malsain qui l’approche de ‘La mort à Venise’ de Thomas Mann.
Jacob Van Gunten se soumet volontairement à la discipline dans cet institut dont le seul objectif semble la production des hommes effacés et disciplinés. L’abandon de ses privilèges de classe et la quête de la soumission, font de Jacob Van Gunten un personnage très singulier et difficile de saisir, et le fait que le livre soit narré par lui à la première personne n’aide pas forcement à le comprendre davantage. Le ton très énigmatique et la réflexion très subtile, peuvent provoquer un certain décrochage chez quelques lecteurs, même si la narration est solide et les thèmes sont traités avec profondeur. Le renoncement volontaire de la propre liberté est en soi un sujet peu commun, qui ne peut que fasciner ou rebuter le lecteur.
Le directeur et sa sœur, gèrent l’établissement avec des méthodes opposés, dû ses caractères très contrastés. Lors que l’un est colérique et autoritaire l’autre est douce et maternelle. Le positionnement des différents étudiants par rapport aux frères Benjamenta sera le moteur de toutes les tensions subjacentes dans le roman. Plusieurs personnages secondaires, incarneront les différents positionnements de l’individu face à l’autorité, et toute la société sera décryptée dans son rapport à la soumission.
Très beau roman qui, malgré toutes ses qualités, m’a laissé avec une sensation de vouloir plus de développement et profondeur sur les personnages et les sujets proposés. Attention aux tons pédophiles suggérés dans certaines parties, qui peuvent choquer vus depuis l’optique du lecteur actuel.
Citation :
« L’enseignement qui nous est donné consiste ici principalement à nous inculquer l’obéissance et la patience, deux qualités qui promettent peu de succès, voire pas du tout. Des succès intérieurs, certes. Mais quel profit tire-t-on de ceux-là ? »
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